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reste? — Elle revint dans l’après-midi, ayant coupé elle-même la seconde de ses nattes. Ses cheveux courts lui donnaient une grâce nouvelle ; ses yeux brillaient d’une joie intérieure : il semblait qu’elle fût heureuse d’avoir à offrir à Henri un affront souffert pour lui.

Ainsi les jours s’écoulaient. Aurélie ne parlait plus de partir, et Henri n’y songeait guère.


VII.

Ce fut une catastrophe qui mit fin à cette situation, une catastrophe des plus cruelles et des plus inattendues.

La guerre continuait sur les rives du Danube, et l’attention des deux armées était portée sur la ville de Silistrie, dont les Russes poussaient le siège avec vigueur. Eumer-Bey, qui était toujours à l’avant-garde de l’armée d’Omer-Pacha, s’était replié sur Rasgrad et attendait une occasion favorable pour faire une diversion contre les troupes des assiégeans. Un changement important s’était accompli à Routchouk. Le vieux Saïd-Pacha, gouverneur de la Bulgarie, avait été brusquement révoqué par un ordre arrivé de Constantinople. Ce n’est point, comme on pourrait le croire, que le grand-vizir, averti des incidens qui s’étaient produits pendant la nuit de la procession, voulût le punir de son inertie; mais il était énormément riche, et le divan désirait lui faire rendre gorge pour quelques millions de piastres. Le nouveau gouverneur, Véfik-Pacha, arriva donc un matin avec son firman en poche, consigna Saïd dans ses appartemens, fit mettre en prison tous les fonctionnaires de la ville et nomma dans leurs emplois les courtisans qu’il avait amenés à sa suite. Il arriva, comme d’ordinaire, que les nouveaux employés s’étudièrent à faire le contraire de ce qu’avaient fait leurs prédécesseurs. Dans ce mouvement de réaction, on s’occupa de découvrir quelle part la population des raïas avait pu prendre à l’attaque des Russes. Véfik-Pacha fit arrêter quelques Grecs et quelques Bulgares. Il les envoya à Eumer-Bey, à qui, par une délicate attention et en raison du rôle qu’il avait joué dans ces événemens, il laissait le soin d’instruire cette affaire. Le convoi des prisonniers fut dirigé sur le camp d’Eumer.

En même temps, le pacha se préoccupa des motifs qui avaient amené à Routchouk le prince et la princesse Inesco. La façon singulière dont ils avaient franchi le Danube à la barbe du vieux Saïd était bien faite pour exciter les soupçons. Aussi un beau matin le cavas-bachi du nouveau gouverneur vint leur signifier qu’ils devaient se considérer comme prisonniers dans la ville, et qu’ils ne la quitteraient que lorsqu’on saurait bien clairement ce qu’ils y