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ser! comment faire? Cependant, Panagia, si vous vouliez m’aider, vous pourriez toucher son cœur. J’ai vu qu’il n’a pas de mépris pour moi, quoique je sois bien ignorante. Protégez-moi! faites qu’il m’aime !

En ce moment, le vent de la nuit, qui avait fraîchi, ouvrit une fenêtre de la chambre; le rideau qui cachait Kyriaki et la madone s’agita vivement; les panneaux de l’image sainte furent ébranlés, et celui qui se trouvait du côté de la fenêtre vint avec bruit s’appliquer sur le panneau central. Une grande frayeur saisit la pauvre enfant. Il lui sembla que la Vierge indignée voilait sa face. Elle poussa un cri, et, s’enfuyant, vint se blottir à l’autre bout de la chambre au milieu de ses frères endormis.

Peu à peu son effroi se calma; mais son cœur resta plein d’une anxiété douloureuse. — La colère de la Panagia est bien juste, se disait-elle. Sont-ce là les pensées qui devraient m’occuper à la veille du jour où mon père va risquer, pour délivrer son pays, une si terrible aventure?

C’était en effet dans la nuit suivante qu’allait avoir lieu cette procession solennelle pendant laquelle les Russes, suivant les dispositions concertées avec le pope Eusèbe, devaient s’emparer de Routchouk. Si le complot allait échouer! Cyrille était encore prisonnier; le pacha avait-il quelque soupçon? Peut-être était-il instruit de tout, et attendait-il le dernier moment pour saisir le pope et le mettre à mort; mais cette funeste pensée ne fit que glisser dans l’esprit de Kyriaki. Elle reprit courage. L’heure si impatiemment attendue par son père, par elle-même, était enfin venue. Dans deux jours, les Turcs seraient en fuite, et les Bulgares tendraient la main à des libérateurs qui adoraient la Panagia! Que se passerait-il d’ailleurs à l’arrivée des Russes? Y aurait-il un combat? Le sang coulerait-il dans les rues de la ville? Popovitza y songeait sans en être effrayée; elle s’était tracé le rôle qu’elle voulait jouer. Elle irait soigner les blessés, et depuis longtemps, dans cette prévision, elle remplissait ses armoires de linge et de charpie.

Cependant Kyriaki, n’avait pu encore s’entretenir avec son père des événemens qui se préparaient. Si elle savait que le complot devait éclater la nuit suivante, c’était grâce à la vigilance affectueuse avec laquelle elle surveillait les actions du pope; celui-ci ne lui en avait rien dit. Si près du moment suprême, la jeune fille se sentait attristée de cette réserve ; elle se repentait de n’avoir point parlé la première, et le silence lui pesait. Bien que la nuit fût fort avancée, elle descendit avec précaution l’escalier. Le pope couchait habituellement dans la salle principale du rez-de-chaussée; Kyriaki en vit la porte ouverte, et, entrant sans bruit, elle aperçut son père qui