Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/839

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débarqués, et ce qu’on ne put emporter tout de suite fut déposé dans une cabane abandonnée. Cyrille y laissa, d’abord les quatre Russes, et, guidant le reste de l’expédition, monta par un chemin fort raide jusqu’à la principale rue du quartier grec. Là était la maison du consul kaun. Cyrille franchit un mur pour ne pas éveiller l’attention par un appel fait du dehors, pénétra dans la maison, y introduisit les Valaques et Henri, et, ayant fait éveiller le consul, lui présenta ces hôtes inattendus. Il retourna ensuite au rivage, et amena les Russes chez Clician suivant ce qui avait été convenu avant son départ. Toutes ces manœuvres se firent heureusement et échappèrent à la police turque. Le jour commençait à poindre lorsque Cyrille, ayant mis tout son monde en sûreté et justement lier d’une entreprise si bien conduite, se présenta chez le pope Eusèbe pour lui faire part de son succès et lui rendre compte des instructions du général Kroulof.


III.

Les étrangers s’installèrent à Routchouk sans rencontrer aucun obstacle de la part des autorités turques, de sorte qu’ils eurent vite oublié ce que leur arrivée avait eu d’irrégulier. Les Valaques, fort bien accueillis par le consul Kaun, étaient restés chez lui. Henri s’était logé non loin de là, dans une petite maison de bois garnie d’une terrasse donnant sur le Danube. Nicolas avait déballé ses appareils photographiques et parcourait le pays avec son valet Constantin. Aurélie, fatiguée et enrhumée par sa traversée du Danube, gardait la chambre. Le capitaine passait ses journées auprès d’elle.

Le troisième jour après les événemens dont nous avons fait le récit, Aurélie était donc avec Henri dans une petite pièce qui lui servait de salon, pièce meublée avec un certain comfortable et garnie, à la manière turque, d’un divan bas régnant tout le long des murs. À demi couchée sur le divan, la princesse fumait un narghilé. Henri, une petite pincette à la main, retirait, les charbons qui venaient de servir à en allumer le tabac, lorsqu’un grand tumulte se fit entendre. Kyriaki traversait la cour de la maison en poussant de grands cris, se précipitait dans la chambre et se jetait aux genoux de la princesse. Le consul Kaun accourut pour savoir la cause de ce bruit. La pauvre Popovitza se frappait la poitrine avec ses mains et donnait tous les signes d’une grande douleur. Elle raconta enfin avec des gémissemens que Cyrille venait d’être arrêté et mis aux fers par ordre de Saïd-Pacha, la police turque ayant été informée du débarquement nocturne que le jeune Bulgare avait dirigé.

— Par pitié ! disait-elle à Aurélie, vous qui êtes une grande dame