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Elle alla chercher et rapporta la branche, que Cyrille mit sur sa poitrine.

— Ton père m’a donné cet anneau, dit-il, ne me donneras-tu pas aussi celui que tu portes?

Elle détacha de son doigt une bague grossière de cuivre et la remit au Bulgare.

Quand ils se quittèrent, Cyrille se sentait plein d’une ardeur héroïque, et il lui semblait qu’aucune entreprise n’était au-dessus de son courage. Au milieu de la nuit, il descendit silencieusement sur la berge, dans un endroit où une barque était amarrée. Il y monta, détacha la corde et se laissa dériver quelque temps, couché au fond du canot. Les nuages étaient bas, la nuit sans lune et obscure. Au bout d’une heure, il gagna le large, étouffant le bruit de ses avirons, et put ainsi s’éloigner sans être aperçu par les sentinelles turques; il se dirigea vers les îles, et enfin le matin, après plusieurs heures d’une navigation cauteleuse, atteignit Giurgevo. Il y fut arrêté, interrogé, jeté dans un corps de garde, et n’obtint qu’à grand’peine d’être conduit auprès du général Kroulof, qui se trouvait à mi-chemin de Bucharest et de Giurgevo, au grand village de Kalougarini. On l’introduisit auprès du général, qui achevait de déjeuner dans une cabane de paysan. Kroulof, vieille moustache grise, avait fait la campagne de 1828 contre la Turquie, assisté à la bataille de Choumla et au siège de Varna. Il se rappelait à peu près la langue bulgare, qu’il avait su parler à cette époque. Il accueillit Cyrille avec rudesse, et, après avoir examiné l’anneau dont le jeune homme était muni, il l’invita à parler. Cyrille, tremblant, récita de son mieux tout ce que le pope lui avait appris, et comme, intimidé, il hésitait quelquefois, le général le regardait, les sourcils froncés, d’une façon qui lui donnait la fièvre. Quand il eut achevé : — Fais bien attention, lui dit Kroulof, que si tout cela n’est pas vrai, tu seras pendu. — Oh! Kyriaki! Kyriaki! se disait Cyrille, qu’il en coûte pour vous mériter !

Il tira alors de sa poche la proclamation qu’Eusèbe avait écrite de sa plus belle main, en grec et en bulgare, et la remit au général. — Lis-moi cela, dit Kroulof. Quand Cyrille en eut lu quelques lignes, Kroulof lui prit le papier, et en fît tranquillement une torche pour allumer sa pipe. Puis il questionna Cyrille sur les dépôts de blé, d’orge et de paille qui se trouvaient en Bulgarie. Le jeune homme, craignant de compromettre son maître Clician, essayait d’éluder certaines demandes; mais Kroulof, qui connaissait à fond le pays, ne prenait pas le change, et, chaque fois que Cyrille balbutiait, il parlait de le faire pendre; le Bulgare subit ainsi un interrogatoire qu’il trouva fort long. Le vieux dogue s’adoucit enfin quand