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moment opportun. Il offrait d’envoyer à cet effet quelques sous-officiers qui d’avance passeraient secrètement le fleuve, resteraient cachés sur la rive turque, et se mettraient à la tête des Bulgares pour attaquer la petite garnison de Routchouk la nuit où les Russes traverseraient le Danube.

Eusèbe accueillit avec joie cette proposition: mais il était difficile de compter sur la population bulgare pour l’exécution d’un pareil dessein. — Kroulof fait beaucoup d’honneur à nos gens, dit le pope. Ils manient vigoureusement la charrue, mais ils n’ont jamais touché un boutchaq.

On discuta sur les moyens d’agir. — Voici, dit enfin Eusèbe. comment mes Bulgares pourront servir le général dans son expédition. Pendant la nuit qui commence le mois de mai, nous avons, comme vous le savez, coutume de faire à travers la ville une grande procession pour inaugurer le mois consacré à la Panagia. Les Turcs y sont habitués, et le tumulte qui remplira Routchouk pendant cette nuit ne les étonnera pas. Kroulof peut en profiter pour passer le Danube au-dessous des îles et se jeter à l’improviste sur nos forts. Nous recevrons à l’avance les hommes qu’il offre d’envoyer: ils se déguiseront, étudieront le terrain, et guideront les Russes à leur débarquement.

Ce plan fut approuvé de Clician et de Kaun. Ils arrêtèrent le détail des avis qu’il fallait envoyer au général russe, et rédigèrent une proclamation que celui-ci avait à publier à son entrée en Bulgarie. Eusèbe l’écrivit en langue grecque et en langue bulgare. Il y était dit que le tsar envoyait ses soldats pour délivrer les populations chrétiennes du joug des Turcs et leur donner un gouvernement libre, qu’elles pouvaient continuer à s’occuper de leurs travaux, que toutes les fournitures faites aux troupes russes seraient scrupuleusement payées, etc. Il s’agissait ensuite de trouver le messager qui se rendrait auprès de Kroulof. Un homme qui appartenait à Kaun, et qui avait été chargé des précédens rapports avec le généra! russe, était surveillé par la police turque, et ne pouvait plus sans danger passer le Danube. Il fallait un autre émissaire, sûr et adroit.

— Nous emploierons, si vous le voulez, dit Eusèbe à Clician, votre commis Cyrille. Je me charge de lui parler et de le décider à partir.

On tomba d’accord à ce sujet, et, après avoir arrêté les dernières dispositions, les conjurés se séparèrent.

Le lendemain matin, le pope fit appeler Cyrille, le mena devant l’image de la Panagia, lui fit jurer le secret, puis le mit au courant de ce qu’on attendait de lui. Il devait se rendre auprès de Kroulof, lui porter exactement les avis des conjurés, et ramener à Routchouk les hommes que le général lui donnerait à conduire. Ce