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ensuite conduits dans l’intérieur de l’établissement par des guides qui ont le talent de laisser croire qu’on a tout vu sans avoir rien montré ni rien expliqué. Une sorte de mystère plane sur les travaux du monnayage (coinage), et c’est à l’obligeance du directeur que je dois d’avoir pu soulever un coin du voile. Autrefois les pièces de monnaie se faisaient à la main ; on forgeait avec le marteau des bandes d’or et d’argent qu’on réduisait à l’épaisseur voulue ; on coupait dans ces bandes des carrés qu’on arrondissait ensuite, puis on plaçait un de ces ronds entre deux coins ou poinçons (dies) contenant en creux l’effigie et l’exergue qu’on voulait marquer en saillie sur les deux faces du métal. Un coup de marteau déterminait alors la double empreinte[1]. Qui ne voit ici l’origine de cette expression consacrée, « battre monnaie ? » Aujourd’hui pourtant la monnaie ne se bat plus, elle s’imprime. Dès 1623, un artiste français nommé Briot avait inventé une machine pour remplacer le monnayage à la main, méthode grossière et très imparfaite : il proposa cette machine à son gouvernement ; mais, n’ayant pu obtenir qu’on l’adoptât, il passa le détroit et vint en Angleterre, où il reçut un accueil très favorable. Briot fut nommé graveur en chef, et la nouvelle machine s’éleva par ses soins dans le Royal Mint, qui était alors à la Tour de Londres. Durant une quarantaine d’années, il y eut comme une sorte de lutte entre le balancier (coining press) et le marteau, auquel on revenait encore de temps en temps. Le balancier finit par triompher vers 1662. À partir de ce moment, les monnaies anglaises firent de grands progrès en ce qui regarde la forme et la pureté du travail ; de 1806 à 1811, l’art des coiners (monnayeurs) atteignit encore un nouveau degré de développement par un ensemble de machines installées aujourd’hui à Londres, hôtel de la Monnaie, et appelées du nom de l’inventeur Boulton’s machinery. Ce ne fut pas uniquement au point de vue de l’art que le moderne système rendit de grands services ; ce fut surtout au point de vue de la rapidité du travail. Telle est la puissance des moyens mécaniques dont dispose aujourd’hui le Royal Mint qu’une masse d’or de la valeur de 50,000 livres sterling peut être reçue la veille à la Monnaie sous forme de bullion et être rendue le lendemain sous forme de souverains.

Par quels traitemens a passé l’or durant ce temps-là sous la main des ouvriers et sous l’action des machines ? C’est ce que nous apprendra une promenade dans l’intérieur de l’établissement. En sortant de la salle d’attente, le visiteur se trouve dans une grande cour carrée et enfermée par de vastes bâtimens de brique, dont la couleur jaunâtre et monotone contraste avec l’arrière-façade de l’hôtel, qui

  1. Un de ces anciens dies fut trouvé il y a quelques années dans Westminster Abbey et envoyé à l’hôtel de la Monnaie, où on le conserve comme objet de curiosité.