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ploie que pour 25 millions de francs. Une beaucoup plus grande masse d’or néanmoins se dirige, en sortant de la maison du fondeur, vers la Banque d’Angleterre.

Les lingots, revêtus d’une marque et de certains chiffres qui constatent désormais leur identité, sont reçus au Bullion office. Là on les pèse de nouveau dans des balances infaillibles : telle est la sensibilité d’une de ces machines qu’un morceau de papier grand comme le creux de la main, jeté dans l’un ou l’autre plateau, le fait aussitôt fléchir. On vérifie ensuite la qualité de l’or, et, quand les lingots sont sortis triomphans de toutes ces épreuves, on les conduit dans les caveaux de la Banque sur une petite voiture (truck) à quatre roues de fer surmontées d’une plate-forme en bois. Les caveaux à voûte de pierre surbaissée se succèdent ou s’embranchent les uns aux autres comme les galeries souterraines dans la crypte d’une église romane. Des becs de gaz y brûlent toute la journée et se confondent avec la faible clarté qui pénètre par de rares ouvertures. Sous ces voûtes en plein cintre luit aussi ce que les anciens alchimistes appelaient du soleil solidifié. On y retrouve ces petits chariots à forme caractéristique (trucks), sur lesquels se voiture le bullion, mais cette fois immobiles, rangés contre le mur et chargés de massifs lingots qui, par la forme et l’épaisseur, ressemblent à des briques d’or. Ce que ces voûtes muettes et obscures ont vu passer de richesses est incalculable. Le jour où je visitai les caves, conduit par le gouverneur de la Banque, M. Alfred Latham, il y avait cent énormes lingots sur chaque truck, représentant une valeur de 80,000 livres sterling, et je comptai dans un seul caveau douze de ces voitures également chargées. On ne s’étonnera plus maintenant des grilles ni des autres moyens de défense qui protègent tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ces casemates de l’or. Si j’en crois pourtant une tradition plus ou moins authentique (à laquelle, il faut le dire, les chefs actuels du Bullion office n’ajoutent aucune croyance), toutes ces mesures de précaution auraient failli être mises en défaut, il y a de cela un assez grand nombre d’années, par une circonstance qu’on n’avait point prévue. Les directeurs de la Banque reçurent un jour une lettre anonyme disant que quelqu’un avait trouvé le moyen de pénétrer dans les caveaux où se trouvait le bullion. Cet avis fut considéré comme une mystification, et l’on ne s’y arrêta nullement. La lettre fut pourtant suivie d’une seconde, puis d’une troisième, dans laquelle l’inconnu proposait aux directeurs de les rencontrer en personne dans le bullion room (chambre des trésors) à l’heure qu’ils voudraient bien indiquer pour le rendez-vous. Cette fois leur curiosité était piquée au vif ; ils répondirent à leur étrange correspondant par la voie qu’il avait spécifiée lui-même et désignèrent l’heure de minuit. Des députés du