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et verdâtre à la surface de laquelle flotte une écume épaisse ; cette écume d’assez mauvaise apparence est pourtant de l’argent dissous. Plus tard, c’est-à-dire au bout de trois ou quatre jours, cette même eau devient azurée et transparente comme celle dont se servent les lavandières pour passer leur linge au bleu. De minces flocons d’écume ne se montrent plus que de distance en distance à la surface ; des plaques de cuivre qui se trouvent introduites dans le liquide ont exercé sur la dissolution une action galvanique et ont entraîné l’argent au fond du baquet. Il y avait dans chacun de ces baquets huit cents onces d’argent, j’oserais presque dire de boue d’argent, car le plus noble des métaux après l’or se présentait jusqu’ici sous forme de substance vaseuse qui lui faisait peu d’honneur. L’art du raffineur consiste à torturer le métal de toutes les manières ; il le change en eau, en limon, en cristal ou en sel. Je pus enfin voir dans un hangar voisin le terme de ces métamorphoses. Sur une espèce d’auge s’étalait une poussière sèche, mais terne et couleur de gravier : ici je ne pus retenir une exclamation : « Vous ne voulez pas dire que ce soit là de l’argent ? — Je l’espère bien, répondit le maître raffineur avec un sourire ; autrement ce serait malheureux pour mes intérêts. » C’était en effet de l’argent, et du plus pur ; il ne demandait qu’à être remis au feu pour le prouver.

De tels établissemens exigent des capitaux très considérables. Non content de fondre l’or et l’argent des autres, le maître raffineur achète lui-même à l’occasion les métaux précieux et paie toujours au comptant. Les ateliers de Wood-street emploient vingt-huit ouvriers ; c’était autrefois une coutume de la maison de n’occuper que des hommes du pays de Galles (welshmen) : aujourd’hui les ouvriers viennent de différentes provinces, mais ils forment en tout cas une race de travailleurs d’élite qui se distinguent par une haute stature, une honnête figure ronde et des membres cyclopéens. Sur le théâtre des travaux, ils portent en général une jaquette bleue, un bonnet de papier gris et une paire de gros gants pour défendre les mains contre les injures du feu. Il n’y a jamais eu d’exemple qu’aucun d’eux ait cherché à soustraire une partie des richesses qui abondent sans cesse dans l’usine. Cette probité, qui est sans doute dans leur caractère, a en outre pour point d’appui une base matérielle que les Anglais considèrent comme importante : je veux dire de forts salaires. La plupart d’entre eux reçoivent au moins 2 livres sterling par semaine. Il se peut aussi que l’habitude engendre chez ces hommes l’indifférence pour l’or et l’argent qui coulent à flots sous leurs mains. Une partie de ces métaux se répand de la fonderie dans le commerce. On estime la consommation de l’or et de l’argent dans le royaume-uni, pour les ouvrages d’art, à 2,500,000 livres sterling par année, tandis que la France n’en em-