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(royal mint), nous pourrons nous former une idée de la manière dont se frappent les pièces d’or ou souverains.


I.

Il n’est guère de théâtre de mœurs plus intéressant que les docks de Londres. Durant ces dernières années, je m’y suis rendu en qualité de curieux chaque fois qu’une nouvelle recrudescence de la fièvre d’or poussait des flots d’émigrans vers de lointaines colonies. Au moment où le vent de la faveur publique était aux mines d’Otago (Nouvelle-Zélande), c’est-à-dire en 1861, je me promenais un jour le long des magnifiques bassins des West-India docks, qui confinent à Lime-house et à Blackwall, tout près de la rive gauche de la Tamise, qui s’en va vers la mer. Blackwall, autrefois un village, aujourd’hui un quartier excentrique de Londres, est occupé par des boutiques et des industries qui se rapportent plus ou moins à la navigation. Les West-India docks, dont la première pierre fut posée en 1800 et qui s’ouvrirent aux vaisseaux en 1802, développent sur une longueur de près de trois quarts de mille un large canal contenu dans le mur d’enceinte. Sur ce canal, parmi une masse serrée de navires au repos, je découvris un vaisseau d’émigrans qui allait partir pour la Nouvelle-Zélande. Ce dernier, quoique un solide trois-mâts, contrastait par son apparence modeste avec les airs superbes des autres bâtimens qui s’élevaient sur les eaux du dock, et à l’intérieur desquels on trouvait un salon d’acajou avec toutes les délicatesses du luxe. Le capitaine, voyant que j’observais avec une grande attention les diverses circonstances du départ, m’invita d’une manière bienveillante à entrer dans le vaisseau. Là le spectacle était navrant et solennel. J’avais devant les yeux toutes les misères de la société relevées par le sentiment d’héroïsme qui s’attache à une résolution extrême comme celle de quitter la mère-patrie. C’est une grande erreur de croire que les jeunes colonies n’attirent à elles, comme on l’a dit trop souvent, que les plus vigoureux enfans du vieux monde. Il y a sans doute parmi les émigrans de fortes et belles natures, mais combien aussi de visages pâlis par la faim, de membres usés, délabrés, vaincus par les privations et les souffrances amères ! Le vaisseau qui allait partir ce jour-là donnait une assez triste idée des forces que l’Angleterre envoie aux antipodes. La première personne que je rencontrai sur le pont était une jeune femme maigre qui donnait le sein à un enfant d’un mois ; mais ce sein n’avait point de lait, et l’enfant se montrait aussi étiolé que la mère. On aurait dit à première vue qu’il n’y avait point d’hommes à bord ; ils étaient alors occupés à déclouer les caisses et