Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/777

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
773
REVUE. — CHRONIQUE.

présentés par don Alfonso secondé par la camériste Despina, viennent tenter un grand coup sûr la sensibilité des deux amantes, en feignant de s’être empoisonnés par amour pour elles. Cette parade absurde, digne du Malade imaginaire, a inspiré à Mozart un morceau capital qui vaut à lui seul tout un opéra. Il est divisé en six épisodes et une stretta ou conclusion d’un effet si grand et si beau que cela dépasse de beaucoup le cadre dessiné par l’auteur du libretto. Quel regret nous éprouvons de ne pouvoir nous servir des signes propres à la musique pour relever les délicatesses et les beautés de détail qu’on trouve dans ce magnifique tableau !

Le second acte, quoique moins riche que le premier, renferme cependant un grand nombre de morceaux remarquables. Tels sont le petit duo de Dorabella et Fiordiligi, qui examinent les avantages physiques des deux étrangers dont elles sont éprises, un quatuor très court, un duo charmant entre Dorabella et Guglielmo, qui, sous le costume d’un faux Valaque, lui dit mille tendresses. Viennent encore plusieurs airs, parmi lesquels se trouve celui que chante Alfonso, qui est d’une gaîté piquante : Donne mie la fatte a tanti. L’air dans lequel Ferrando exprime la douleur qu’il éprouve de se voir trahi par sa fiancée est largement dessiné et d’un beau caractère ; M. Naudin le chante avec talent. Citons encore l’air coquet de Dorabella : L’amore e un ladroncello, si délicieusement accompagné, le duo très passionné entre Ferrando et Fiordiligi, et surtout le finale. Pour faire mieux comprendre les beautés et les délicatesses qu’on trouve dans ce tableau musical d’un grand maître, il n’est pas inutile d’expliquer dans quelle situation se trouvent les différens personnages de cet imbroglio vraiment incroyable. Les deux prétendus Valaques ont réussi à toucher le cœur de Fiordiligi et de Dorabella, qui se sentent d’autant plus disposées à les écouter qu’elles se croient libres par la mort de Ferrando et de Guglielmo, qui auraient péri sur le champ de bataille. C’est don Alfonso, aidé de la camériste Despina, qui a répandu cette triste nouvelle, qui dégage Fiordiligi et Dorabella de leurs sermens. N’oublions pas de dire aussi que, dans le premier acte, Ferrando est le fiancé de Dorabella et Guglielmo celui de Fiordiligi. Dans l’intrigue ourdie par don Alfonso, les rôles sont retournés : Ferrando se fait aimer de Fiordiligi, tandis que Guglielmo s’adresse à Dorabella. C’est une partie carrée renversée.

Le finale commence par un mouvement rapide de l’orchestre et par un chœur de quelques mesures au milieu duquel don Alfonso et Despina donnent des ordres pour la fête et le festin qui se préparent. Le chœur reprend ensuite ses cris joyeux sur un nouveau mouvement, auquel s’enchaîne un délicieux quatuor chanté par les deux couples amoureux. Assis à table et le verre en main, les quatre convives se disent les choses les plus tendres aux sons d’une musique divine. Je ne connais rien de comparable à ce petit morceau en si bémol de trente-deux mesures ! Les dieux de l’Olympe devaient chanter ainsi leur félicité éternelle. Despina, déguisée en notaire, survient alors pour dresser le contrat de mariage des nouveaux époux. Après cette parade, tout à fait impossible, don Alfonso vient annoncer, les larmes aux yeux, que Ferrando et Guglielmo sont de retour, et que la nouvelle de leur mort était fausse. Grande surprise et grande confusion de la part des deux sœurs Fiordiligi et Dorabella ! Les deux Valaques se