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encore ses liaisons personnelles avec des membres de la gauche, lui avaient acquis d’abord l’appui de cette fraction de la chambre. On a donc pendant une année laissé M. Rattazzi à l’œuvre. Peu soutenu dans les matières administratives, le ministère a montré une grande irrésolution et une singulière faiblesse dans les questions d’affaires, si importantes cependant pour l’Italie dans la phase difficile que traverse ce pays. La chambre a presque toujours refait les projets de loi présentés par les ministres, et ceux-ci, comme dans la question des chemins napolitains, ont subi avec une docilité parfois regrettable le remaniement ou le rejet de leurs propositions primitives ; mais c’est dans la politique proprement dite, où la majorité de la chambre l’abandonnait à lui-même en gardant une attitude expectante et passive, que M. Rattazzi a rencontré les plus graves écueils. Arrivé au pouvoir avec la faveur de la gauche, dont il avait entretenu les espérances, il a été obligé de combattre et de réprimer les tentatives aventureuses du parti d’action. Succédant à M. Ricasoli avec la réputation de posséder le secret et la faveur du cabinet des Tuileries, il n’a pu présenter à ses concitoyens, après Aspromonte et la retraite des diplomates français favorables à l’Italie, — MM. Thouvenel, de La Valette, Benedetti, — que la dépêche de M. Drouyn de Lhuys en réponse à la note du général Durando. Nous le répétons, M. Rattazzi n’a pas été heureux, et il y aurait de l’injustice à ne pas lui tenir compte de la sincérité de son patriotisme, du calme de son caractère, de la modération de son esprit, de la réalité de son talent, contrariés par la fatalité des circonstances. Cependant après cette expérience pourquoi s’obstiner au maintien du cabinet actuel ? Pourquoi, comme on le laisse entrevoir, faire à un tel intérêt le sacrifice de la chambre et aller jusqu’à l’extrémité et au hasard d’une dissolution et d’élections générales ? Un des principaux mérites du gouvernement représentatif et parlementaire est justement, quand on sait bien s’en servir, d’échapper au péril des situations trop tendues, de permettre de changer les hommes lorsque les choses changent, de rendre le pouvoir plus élastique en le faisant passer d’une main à l’autre. Vouloir, comme on en parle, dissoudre le parlement italien, ce serait dire en quelque sorte, ou que ce parlement est ingouvernable, ou qu’il ne fournit pas las élémens d’un nouveau cabinet : deux assertions à coup sûr très erronées, car la chambre italienne est d’une docilité incontestable en politique, et elle renferme des hommes d’un mérite réel, d’une réputation européenne, qui ne méritent d’autre reproche en ce moment que de ne point mettre assez en évidence leurs personnes et leurs idées. Bien loin donc de considérer un changement de ministère en Italie comme une épreuve dangereuse, nous y verrions au contraire l’occasion d’une transition politique salutaire, qui donnerait au gouvernement du royaume et à la cause de l’unité des forces nouvelles. Que les Italiens se gardent bien de prendre sur un ton trop sérieux les changemens de ministres sous un gouvernement parlementaire, qu’ils évitent les fautes qui ont été commises chez nous, où l’on en est venu à faire des révolutions