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on voit qu’on ne peut tenir longtemps dans de tels abris. Les actes, dans la vie des peuples, parlent plus haut et vont plus loin que les mots. Nous avons à différentes reprises suivi anneau par anneau la chaîne des actes par lesquels la France s’est liée dans les affaires italiennes. Il serait oiseux de la parcourir de nouveau. Il y a une réponse que les amis et les partisans du pouvoir temporel peuvent adresser également à la dépêche de notre ministre, c’est que si le gouvernement impérial a toujours été résolu à conserver quand même le pouvoir temporel, il aurait dû mieux comprendre la portée des événemens au moment où ils s’accomplissaient, ne pas laisser aller les Italiens si loin, et prendre plus tôt la défense du pouvoir pontifical. Aussi la réponse de M. Drouyn de Lhuys ne peut point, à notre avis, fermer la bouche aux Italiens, et le gouvernement du roi Victor-Emmanuel a le droit et le devoir de revenir à la charge, en choisissant une forme nouvelle et en se plaçant sur un nouveau terrain.

Notons en passant que notre nouvelle politique italienne n’est guère faite pour réussir auprès de cette clientèle des nationalités que nous avions paru rechercher, et qu’elle ne doit pas avoir peu contribué, par la force d’une leçon toute fraîche, à pousser les Grecs dans les bras des Anglais. Nous n’avons point été généreux envers ceux qui se sont courageusement compromis pour nous, notamment envers M. Rattazzi et ses collègues. Le ministère Rattazzi, le parlement italien, l’Italie tout entière traversent en ce moment une crise difficile. Nous ne songeons point encore à porter un jugement sur la grande délibération qui se poursuit devant le parlement de Turin. La discussion n’est pas épuisée : plusieurs orateurs dont l’Europe libérale aimerait à connaître les idées, MM. Farini, Ricasoli, Peruzzi, Miughetti, n’ont point pris la parole encore. La majorité, à la fin du débat, se prononcera-t-elle pour ou contre le ministère ? On se pose chaque jour avec incertitude cette question, qui a moins d’importance qu’on ne pense, les chances variant à chaque instant le calcul des pointeurs. Quelle que soit l’issue du vote, le ministère actuel ne nous semble pas devoir survivre à ce grand débat parlementaire, ou du moins doit, suivant nous, être profondément remanié. Nous ne portons dans cette appréciation aucune prévention contre M. Rattazzi, dont nous reconnaissons les qualités et dont nous admirons l’éloquent discours ; mais nous pensons qu’à une situation nouvelle il faut au moins l’essai d’un ministère nouveau. Nous n’avons pas à nous mêler, nous étrangers, aux querelles personnelles qui sont faites au sein du parlement à M. Rattazzi ; mais nous pensons que son ministère a épuisé la situation dans laquelle et pour laquelle il a été formé. Les circonstances ont rarement favorisé cet homme d’état, et depuis un an elles l’ont aussi mal servi que possible. Deux raisons ont décidé les conservateurs italiens à laisser vivre le ministère de M. Rattazzi, d’une part la faveur du roi, et d’un autre côté l’idée que M. Rattazzi était l’homme d’état italien le mieux placé pour obtenir de la France quelque concession dans l’affaire romaine. Ces mêmes raisons à un certain degré, mais plus