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en aidant des propres mains de la France à la reconstruction de l’influence russe sur les populations chrétiennes de l’empire ottoman. Agir de la sorte et céder à une de ces infatuations de cour qui sont trop communes dans notre histoire, c’était méconnaître la vérité des choses, le véritable intérêt de la France, et nous préparer en Orient de nouveaux désagrémens, C’est cette faute qui provoque aujourd’hui au sein des Gréco-Slaves la réaction si favorable à l’Angleterre dont nous avons le spectacle.

En effet, une illusion trompeuse a été pour les populations chrétiennes d’Orient la cause d’une prompte déception. Elles croyaient à une alliance franco-russe ; elles espéraient, en s’agitant et se soulevant, obtenir l’appui de la Russie, soutenue elle-même en réserve par la France. Elles se sont élancées sur un mirage. Garibaldi, en marchant à Rome au lieu de débarquer en Albanie, n’a pas plus trompé l’attente des Grecs que la Russie, avec le fantôme indécis de la France derrière elle, n’a déçu les Monténégrins et les chrétiens d’Herzégovine en les abandonnant à la prépondérance militaire d’Omer-Pacha et de Dervisch-Pacha. La Russie n’a pu faire que du marivaudage diplomatique ; le prince Gortchakof, qui s’évertue à couvrir la faiblesse réelle de son pays par des attitudes académiques, a fait avec le comte Russell, à propos du Monténégro, une passe d’armes sur l’histoire d’Angleterre, et tout a été dit. L’activité, la volonté, la décision, la force, ont été dans ces échauffourées toutes du côté de l’Angleterre. L’influence russe a été complètement battue, et par malheur le ricochât de l’échec moral de notre partenaire devait en partie atteindre la France. Or pense-t-on que le sens de ces derniers événemens ait pu échapper aux populations orientales ? Ce qui a suivi était inévitable. Il n’est pas possible d’empêcher les populations qui ont besoin d’un patronage de se tourner du côté de la force intelligente et active. Quand les Grecs se demandent quelle est la politique qui a une volonté décidée et qui sait faire prévaloir ses résolutions dans les affaires d’Orient, que rencontrent-ils ? L’Angleterre. Quand ils se demandent où est cette inflexible persévérance qui est le plus efficace soutien de la domination turque à Constantinople, que trouvent-ils ? L’Angleterre. Enfin, dans l’avortement et l’apaisement des dernières agitations chrétiennes, que viennent-ils de voir ? L’Angleterre, l’Angleterre seule, vainement surveillée, contrôlée, contrecarrée par les influences sur lesquelles ils avaient inutilement compté. Rien donc n’est plus naturel et plus spirituel que la manœuvre des Grecs offrant leur trône vacant à l’Angleterre. Ils vont droit à l’obstacle qui s’oppose à leurs aspirations : ne pouvant le renverser, ils s’efforcent de l’amollir. Ils se présentent en cliens caressans et flatteurs à ceux qui ont été jusqu’à présent les inflexibles et invincibles patrons de leurs ennemis. Ils mettent dans les mains des Anglais, qui possèdent déjà la reconnaissance et la confiance des Turcs, la confiance et la docilité des chrétiens orientaux, c’est-à-dire l’arbitrage complet et pratique de la question d’Orient. Acceptés, ils sont sûrs du succès final de leur cause ; même refusés, ils se créent un titre impérissable à la protec-