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n’est que modéré en disant qu’elles ont été vues avec complaisance à Saint-Pétersbourg. La France, nous n’en doutons pas, n’a été directement pour rien dans cette émotion des populations chrétiennes de la Turquie d’Europe ; mais on ne peut pas nier qu’elle n’ait indirectement et par imprévoyance contribué à l’entretenir. Les populations chrétiennes dont nous parlons se sont incontestablement fiées à l’appui matériel ou moral qu’elles attendaient de la Russie. Si elles eussent vu la Russie réduite à ses seules forces dans la question d’Orient, elles ne se seraient certainement pas abandonnées i une telle illusion. Le coup porté par la guerre de Crimée à la puissance russe a été trop grand pour que les populations chrétiennes de Turquie n’en aient pas ressenti l’effet, et n’aient pas compris que la Russie seule ne pouvait de longtemps leur prêter un appui efficace ; mais un certain laisser-aller, nous n’oserions dire un système, de la politique française en Orient depuis quelques années avait donné le change aux anciens cliens de la Russie sur la vérité de la situation. La France n’a pas dans la question d’Orient des intérêts directs et positifs : elle n’a pas à y chercher des conquêtes, des agrandissemens, des positions stratégiques de défense ou d’attaque ; elle n’y a qu’un intérêt négatif, un intérêt conservateur, l’intérêt du maintien d’un certain équilibre. C’est dire que la politique française n’a pas à exécuter de solo dans la question orientale, qu’elle doit chercher à y faire sa partie dans des morceaux d’ensemble en choisissant avec habileté ses accompagnateurs, et en passant de l’un à l’autre suivant la circonstance. À bien voir les choses, notre duo le plus ordinaire devrait être avec l’Autriche, qui n’a pas, comme la Russie et l’Angleterre, d’intérêts d’envahissement et d’accaparement, et à qui d’ailleurs, s’il fallait détacher des populations chrétiennes de la Turquie au profit de quelque grande puissance, on pourrait permettre de telles annexions en trouvant du côté de l’Italie les compensations directes ou indirectes les plus avantageuses et les plus prochaines pour la France. Malheureusement notre gouvernement semble avoir pris à tâche en Orient, depuis la guerre de Crimée, d’effacer ceux des résultats de cette guerre qui avaient affaibli l’influence russe. Nous n’avons, quant à nous, aucune antipathie, aucun préjugé contre la nation russe. Le libéralisme français serait heureux de pouvoir aider la Russie à se débrouiller de la crise intérieure qu’elle traverse. Nous voudrions pouvoir seconder les progrès politiques du peuple russe, et nous sommes sûrs qu’en servant le développement intérieur de la Russie, nous finirions par obtenir de justes redressemens en faveur du peuple polonais, qui a tant de droits à nos sympathies et à notre assistance ; mais sans qu’on puisse nous accuser d’une injuste hostilité contre le peuple russe, nous croyons pouvoir blâmer les’singulières complaisances que le gouvernement français a depuis 1856 témoignées à la cour de Saint-Pétersbourg sur le terrain de Constantinople. Nous avons plusieurs fois signalé cette faute, nous avons en mainte occasion indiqué avec timidité, mais assez clairement, que l’on se trompait en défaisant les résultats de la guerre de Crimée et