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avec évidence qu’une soudure pouvait être faite au milieu de l’Océan; il fut donc décidé que l’immersion commencerait à mi-chemin entre Valentia et Terre-Neuve.

L’expédition, partie de Plymouth le 10 juin 1859, eut à lutter contre de mauvais temps. Séparés les uns des autres, les navires se retrouvèrent le 26 au rendez-vous assigné, et commencèrent immédiatement l’opération; mais on n’avait pas filé plus de 5 kilomètres de câble qu’une rupture eut lieu. Les deux bâtimens se rejoignirent, rattachèrent les deux bouts et partirent une seconde fois; une seconde rupture eut lieu après l’émission de 70 à 80 kilomètres. Cependant les navires se retrouvèrent encore, recommencèrent une troisième fois et sans un meilleur succès : à 500 kilomètres l’un de l’autre, la communication fut encore interrompue.

Après ces tentatives infructueuses, la flottille revint en Angleterre; elle reprit la mer le 17 juillet, et fut réunie au milieu de l’Océan le 28 du même mois. Le temps était beau, le calme parfait. Le lendemain, on fit la soudure en attachant au point de jonction des deux bouts du câble un boulet de 32 pour le faire couler à fond, et tout l’appareil fut jeté à la mer, sans autre formalité, dit un témoin oculaire, et sans même attirer l’attention, car ceux qui étaient à bord avaient trop souvent assisté à cette opération pour avoir grande confiance dans le succès final. Les deux bâtimens se séparèrent, se perdirent de vue et poursuivirent leur route, chacun de son côté, tout étonnés de ne voir surgir aucun accident. Un ingénieur veillait nuit et jour au dynamomètre et au frein; le câble dévidait environ 6 nœuds, le navire n’en parcourait que 5; les signaux s’échangeaient régulièrement entre le Niagara et l’Agamemnon. Au bout de trois jours, le temps changea, la mer devint houleuse, et cependant tout allait bien. L’espoir renaissait au cœur de chacun à mesure que se poursuivait cette course bizarre, sans précédent et, hélas! sans imitateurs jusqu’à ce jour, course où deux navires séparés par des milliers de kilomètres se donnaient réciproquement signe de vie. Et puis quels singuliers incidens! Tantôt une baleine se dirige pesamment sur le câble et l’effleure presque, au grand effroi d(; l’équipage; tantôt c’est un bâtiment qui se trouve sur l’inflexible ligne droite de l’Agamemnon, et qui, ignorant le précieux fardeau qu’il porte, ne veut pas s’écarter de sa route. Il faut tous les canons et toute la poudre de la frégate et de son conserve, le Valorous, pour ouvrir la voie, désabuser le navire attaqué et transformer en hourras frénétiques la première indignation contre cette apparente violation du droit des gens. Bientôt on arrive dans les eaux peu profondes, on aperçoit les lumières de la côte, le Niagara fait signe qu’il est en vue de Terre-Neuve, et les salves d’artillerie annoncent que