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Nous ne prétendons nullement que cette opinion ne soit pas soutenable; mais nous ne pouvons admettre que l’auteur des Ganaches ait employé des argumens valables pour la soutenir, même comme il l’aurait pu faire sans trop insister dans le cours de sa comédie. Nous avons cherché avec soin toutes les raisons que l’auteur énumère pour établir cette merveilleuse supériorité de notre temps, sans trouver autre chose que le développement des chemins de fer et les embellissemens de Paris. Il est vrai qu’il en est question à chaque ligne, mais il n’est pas question d’autre chose. En vérité, il n’y a pas dans ces deux argumens en faveur de l’époque où nous vivons de quoi écraser les ganaches de M. Sardou, en leur accordant même la niaiserie surhumaine que l’auteur a eu l’attention de leur donner. Que ces habitans de Quimperlé n’estiment pas à leur juste valeur les embellissemens de Paris, quoi de plus excusable, puisqu’ils ne connaissent Paris que de loin et ne songent pas à y venir vivre, ce qui n’est pas un crime d’état, je suppose? Quant au développement des chemins de fer, c’est par un pur caprice ou plutôt pour le besoin de sa thèse que M. Sardou le vante comme particulièrement désagréable à ses ganaches; il n’est point de provincial, si ganache qu’il soit, qui n’ait l’ardent désir de voir le chemin de fer arriver à sa porte, et il n’est pas d’ami du progrès, fût-il même élevé à la dignité d’ingénieur, qui ne voie avec chagrin le plan d’un chemin de fer traverser son salon. Admettons cependant que les ganaches soient injustes à l’égard des chemins de fer; pourquoi exiger d’eux une reconnaissance exagérée envers le temps présent, parce que le temps présent aura daigné poursuivre et compléter le réseau conçu et entrepris par Fromentel? Car M. Sardou lui-même ne niera pas que l’infortuné Fromentel n’ait commencé après tout ce grand ouvrage que l’ingénieur achève avec tant de fanfares. Il est vrai que Fromentel gâtait tous ses bons mouvemens par la corruption la plus audacieuse; ne le voit-on pas, vers la fin du deuxième acte, donner à entendre à l’intègre Marcel qu’on « ne sera pas ingrat, » s’il modifie un peu son tracé pour épargner la maison? Fi donc! Voilà bien les habitudes du « bourgeois de 1830 » qu’a flagellé M. Sardou ! Avec quelle indignation l’ingénieur re- pousse cette insinuation malhonnête! Il est trop de son temps, de notre temps, entendez-vous? pour ne pas garder ses mains pures! Ces choses-là étaient bonnes il y a quinze ans; mais aujourd’hui, après notre régénération morale, avec la rigide probité que nous avons introduite enfin dans nos affaires industrielles et financières, comment Fromentel a-t-il pu s’imaginer?... Aussi est-il bien puni de son anachronisme : l’ingénieur se détourne, passe fièrement et le laisse « rouler dans la boue. »

Quand on a cité l’embellissement de Paris, le développement des