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de sa chambre à coucher. Pendant le trajet, il se demanda d’où lui venaient ces regrets, presque semblables à des remords. Le calme se faisait dans cette âme, dont la jalousie avait remué toutes les passions honteuses. Il ne se reconnaissait plus le droit d’avoir été aussi cruel, et il entrevoyait confusément que cette cruauté avait pu être une injustice. Certes il ne comprenait pas que Mme de Sabran eût si subitement rompu avec lui; mais il devinait que le motif de cette rupture avait dû être tout-puissant, digne d’une telle femme, indépendant à coup sûr de sa volonté. Ne l’avait-il pas vue souvent inquiète et absorbée au milieu des plaisirs auxquels elle paraissait se livrer? Dans cette soirée même où il l’avait si mal comprise, n’était-elle pas venue à lui comme une amie? Il ne l’accusait plus, il la plaignait, il l’aimait encore. Il arriva devant l’hôtel de la comtesse et vit, comme il le désirait, l’obscurité se faire dans l’appartement de la jeune femme. Il resta jusqu’au matin en face de ses fenêtres, se promenant par cette belle nuit sous les grands arbres et livré à une rêverie non point exempte de tristesse, mais où les résolutions loyales et généreuses avaient pris la place des soupçons et de la colère. Il eût désiré revoir la comtesse le plus tôt possible, car il voulait la rendre témoin de son repentir; mais plusieurs jours s’écoulèrent sans qu’il la rencontrât. Il apprit alors qu’elle était malade. Il s’alarma et courut chez Aubry, à qui il avait fait part des derniers incidens de son amour.

— Va la voir, lui dit Aubry.

Il n’y alla qu’en tremblant. Il avait peur de ne point être reçu. Contre son attente, on l’introduisit aussitôt. En pénétrant dans ce joli salon d’été où il avait fait sa première visite à la comtesse, il fut vivement ému. Il le fut davantage encore quand il aperçut la comtesse elle-même languissamment étendue sur le canapé.

— Ah! c’est vous? dit-elle en le voyant entrer. Vous devez me trouver bien changée; mais cela n’est point étonnant : vous m’avez tant fait souffrir !

— Moi! répéta le colonel avec stupeur. Ah! dit-il avec une véhémence qui n’était pas sans amertume, c’est moi qui vous ai fait souffrir, c’est moi que vous accusez ! N’est-ce donc pas vous qui vous êtes la première éloignée de moi, qui m’avez fermé votre porte, qui avez feint de ne me plus connaître? N’est-ce pas vous qui m’avez bercé des plus chères illusions, pour m’infliger ensuite, et de gaîté de cœur, la déception la plus cruelle? Ah! si quelqu’un doit se justifier de ce que nous avons souffert tous les deux peut-être, ce n’est pas moi, c’est vous.

— Aveugle et ingrat! murmura la comtesse; mais sa voix était douce, il y avait une sorte de joie dans ses reproches. On eût dit