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Jacques et de pastoureaux, et s’abandonnèrent à des représailles, que certes je ne veux pas excuser, on ne se contenta pas de réprimer leurs rébellions. Ils furent traqués et exterminés comme des bêtes fauves. Les lettres de Mme de Sévigné montrent avec quelle barbarie, même dans le siècle policé de Louis XIV, on traitait les paysans, quand ils se mutinaient sous la main qui les frappait. Sur la fin du règne de ce prince, auquel se rattachent dans l’opinion vulgaire tant d’idées brillantes, on vit des paysans français réduits à manger de l’herbe. Louis XIV pourtant était le petit-fils du bon roi qui avait fait le programme de la poule au pot. Le législateur ne tenait pas compte des souffrances qui accablaient cette classe infortunée, et ne se demandait pas s’il ne fallait point y chercher la cause qui les poussait quelquefois au désordre ; il se refusait à comprendre que l’équité, l’intérêt public, la charité chrétienne, commandaient de changer profondément les lois, afin que ces êtres noirs, livides et tout brûlés du soleil, dont parlait La Bruyère, pussent devenir des hommes et des citoyens.

Même à la veille de la révolution de 1789, le paysan français était beaucoup plus malheureux que l’habitant des villes. Il ressentait plus durement les inconvéniens et les vices du régime-politique qui subsistait alors, et qu’on pourrait définir l’inégalité sous un gouvernement arbitraire. Dans son dernier ouvrage, l’Ancien Régime et la Révolution, M. de Tocqueville a signalé ce fait, que la bourgeoisie échappait assez facilement à ce que les rigueurs de ce régime avaient de plus offensif, et spécialement à la dureté des lois pénales, tandis que les excès de pouvoir et les brutalités de la législation retombaient de tout leur poids sur le pauvre paysan. La gabelle faisait à elle seule aller aux galères des milliers de personnes, et les victimes étaient surtout des paysans.

La révolution de 1789, en proclamant les principes de l’égalité et de la liberté, a été un grand bien pour la population des campagnes. Elle lui à assuré le bénéfice du droit commun et l’a soustraite à des juridictions oppressives et à une législation pénale qui était abrutissante. La corvée et diverses exactions qui avaient pris force de loi ont été abolies. Les paysans ont continué de former le principal bloc de l’armée, mais avec cette grande différence qu’ils ont pu parvenir au grade d’officier, sous la condition, qu’ils remplissaient rarement, d’avoir quelque instruction. Il faut pourtant l’avouer, pour les paysans le bienfait du triomphe des principes de 1789 a été jusqu’ici, à beaucoup d’égards, virtuel bien plus que positif, une perspective plus qu’une mise en possession. C’est beaucoup dans la vie des peuples qu’une perspective consolante : c’est l’espérance qui réconforte et soutient ; mais ici-bas, dans le monde