Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amour? Et je me faisais justement cette question en tournant les pages de ces livres qui se sont succédé dans ces dernières années, qui se succèdent encore, — la Paix, les Sources, les Commentaires sur l’Evangile selon saint Mathieu, — œuvres d’un prêtre, d’un homme qui, à part la vocation intérieure, semble ne s’être retiré dans le recueillement de l’Oratoire renaissant, dans le silence de la vie méditative, que pour mieux entendre retentir au fond de lui-même le cri des cœurs malades, la plainte d’un siècle en travail. Nul peut-être mieux que le père Gratry ne représente par son caractère autant que par la nature de son esprit cette élite d’âmes religieuses qui, sans s’écarter du dogme, en s’y tenant au contraire ardemment fixées, ne craignent point cependant de se placer au centre des agitations morales de leur temps, de remuer, de sonder tous les problèmes, et ont par instans des audaces naïves d’interprétation. Ces âmes peuvent se tromper quelquefois dans leurs jugemens et dans leurs conjectures, elles vont trop haut et trop loin : elles ont des raffinemens, des subtilités, des entraînemens qui tiennent à la solitude où elles se renferment; mais elles ont ce que rien ne peut remplacer, la vie intérieure. Elles sont puissamment émues au spectacle de la marche mystérieuse des sociétés, et elles émeuvent, ne fût-ce que par leurs généreuses et sincères inquiétudes, par l’intensité passionnée de leur foi, par la candeur de leurs efforts. Dans tous les cas, elles n’ont rien des sectaires, rien surtout de ces autres esprits pharisaïques toujours portés à opposer l’immobilité traditionnelle, les interprétations odieuses ou absurdes, les condamnations, les répulsions, à ces deux choses que le père Gratry lui-même montre aux côtés de Jésus : « pitié de cœur et lumière de raison ! » Elles représentent une des faces du catholicisme contemporain, le catholicisme adoptant, sanctionnant ce qu’il y a de légitime dans les aspirations modernes, s’associant, au nom de l’Évangile lui-même, aux justes revendications, ce qu’on peut appeler, à vrai dire, un catholicisme libéral. C’est dans cette élite d’âmes religieuses, et au premier rang, que le père Gratry se plaçait dès l’origine, il y a quelques années déjà, en écrivant ses livres de la Logique, de la Connaissance de Dieu, de la Connaissance de l’Ame, en rassemblant les élémens d’une philosophie religieuse où la conviction du prêtre s’allie au sentiment le plus vif de la situation morale du monde, à l’analyse la plus animée de quelques-uns des systèmes contemporains, et ses œuvres d’aujourd’hui ne sont que la suite ou les épisodes de ce travail, tout mêlé de foi et de science, de dialectique et d’imagination.

Un souffle ardent circule dans ces pages de la Paix, des Sources, des Commentaires de l’Evangile selon saint Mathieu, soit que l’au-