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la raison éclairée et fortifiée par la foi qu’ils combattent la raison égarée et livrée à l’excès de ses entraînemens. Au lieu de retrancher de l’humanité toutes les anciennes cultures, les philosophies, les poésies antiques, ils admettent tout ce qui peut servir à la civilisation morale et intellectuelle, tout ce qui a fait la noblesse ou le charme de l’esprit humain. Au lieu de se cabrer contre la marche des choses, contre la liberté de conscience et les principes qu’invoquent les sociétés modernes, contre les garanties civiles et la séparation des pouvoirs, contre les sciences et l’industrie par lesquelles la surface du monde se transforme, ils cherchent le secret et la raison de tout ce mouvement irrésistible qui ne peut être assurément le gigantesque caprice d’un hasard ou un défi jeté à la Providence. Ce sont des chrétiens fervens, sérieusement convaincus, mais qui aiment le progrès, la justice et la liberté, qui ne croient pas tout perdu parce que des peuples revendiquent leurs droits, parce que les hommes aspirent à se gouverner eux-mêmes.

Ce n’est pas qu’ils ne soient sensibles aux maladies qui tourmentent un siècle agité par de tels ébranlemens, qu’ils ne s’alarment parfois des obscurités qui se font dans les âmes, de ces affaissemens soudains ou de ces recrudescences convulsives, de tous ces troubles enfin que laissent les grandes et profondes révolutions; mais ces maladies mêmes, qu’ils suivent d’un œil ému, ils les traitent avec sympathie, sans insulter le grand patient qui se débat depuis plus d’un demi- siècle : ils n’ont ni brutalités ni invectives pour cette société, qui est après tout leur patrie, au sein de laquelle ils vivent, et où ils sentent palpiter des instincts qu’il n’y a qu’à épurer et à diriger. Ce n’est pas non plus que cet immense mouvement d’industrie et de richesse qui emporte le monde leur semble sans péril, et qu’ils n’y voient une invasion redoutable des intérêts matériels débordant sur tout l’ordre spirituel; mais, sans nier le péril, sans fermer les yeux aux maladies du temps, pas plus qu’à la menace d’une prépondérance des choses matérielles, ils n’y voient qu’une nécessité de plus de combattre sans cesse par la parole, par la foi et par la science, de raviver toutes les sources morales, de stimuler l’énergie intellectuelle, et de rapprocher toutes ces forces en scellant leur alliance à la lumière de l’Évangile. Ils ne veulent pas faire rétrograder leur siècle et la société d’où ils sont : ils veulent défendre et faire vivre en eux le principe chrétien qui est leur essence et leur force.

Qu’est-ce donc, me demandais-je, qu’un prêtre libéral, si ce n’est un de ces esprits, animés d’une clairvoyante et généreuse inspiration, qui cherchent moins à entraver tout cet irrésistible mouvement humain qu’à le moraliser, à lui communiquer la sève féconde, qui s’efforcent d’agir sur leurs contemporains par l’intelligence et par