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grandeur. La liberté de conscience n’est qu’une funeste hérésie ; les chemins de fer eux-mêmes ont leur part d’anathèmes et deviennent des messagers de décomposition ou des châtimens. La philosophie n’est qu’un apprentissage de la révolte. Tout ce qui s’est fait de nos jours, surtout depuis la révolution française, n’est qu’une vaste conspiration contre la vérité. Toutes les grandes cultures littéraires par lesquelles s’est élevé et formé l’esprit humain depuis Homère et depuis Platon ne sont qu’un paganisme dégradant qu’il faut se hâter de chasser de l’éducation publique. En un mot, tout le mouvement qui s’accomplit sous nos yeux n’est qu’une immense et choquante déviation qu’ils flétrissent de quelque verset sibyllin renouvelé de Joseph de Maistre. Ils ne comprennent pas, ces esprits violens et absolus, qu’on puisse être à la fois libéral et catholique, qu’on allie le sentiment de nécessités toutes modernes à la croyance traditionnelle, c’est-à-dire qu’ils se font du catholicisme et de l’église un idéal abstrait devant lequel doivent s’abaisser tous les principes des sociétés nouvelles, et selon lequel les pouvoirs politiques, s’ils étaient intelligens, s’ils voulaient la paix, devraient se faire les porte-glaive de leurs doctrines, les régénérateurs du monde moderne par je ne sais quel retour à un passé regretté, par l’unité dans le silence, la soumission et l’immobilité. Le pape et l’empereur, c’est là leur idéal merveilleux ! De là leur préférence pour tous les absolutismes. Ils se prennent quelquefois au piège, et finissent par n’être pas plus libres après avoir aidé à sceller la liberté des autres; mais ils se consolent encore en se disant que c’est la faute des hommes, non du système. Plus sceptiques qu’ils ne croient, ils méconnaissent ce qu’il y a de vertu et de ressources pour la religion dans les luttes mêmes de la liberté et ce que peut une foi vraie, sincère, intelligente et active au milieu du déploiement des forces contemporaines. Ce sont, à vrai dire, des sectaires en guerre avec leur siècle, et l’effarouchant sans cesse au lieu de l’éclairer et de le conduire.

Il est au contraire une autre race d’esprits qui ne sont pas moins fermes dans leur croyance et fidèles au dogme dont ils sont quelquefois les gardiens, mais pour qui la religion n’est point cette ennemie intolérante et haineuse de tout ce qui s’élève et grandit au sein du monde où ils vivent, qui ne s’exercent pas à faire la maison du Père céleste si petite que seuls ils y puissent entrer, eux et leurs sectateurs. Ils ont ces deux traits de l’âme véritablement religieuse: ils savent comprendre et aimer. Au lieu de violenter et de conspuer la raison humaine dans ses tentatives pour s’ennoblir par la recherche de la vérité, ils l’honorent au contraire et reconnaissent son domaine légitime; ils ne songent pas à étouffer ses lumières naturelles sous un traditionalisme immobile et oppressif. C’est avec