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exposer l’arbre qui l’a produit, tel qu’on le rencontre dans les profondeurs des forêts, on eût eu sous les yeux un spectacle grandiose qui eût éclipsé de beaucoup les créations humaines les plus remarquables. Faute de semblables spécimens, on a dû se contenter de montrer des collections de morceaux de bois peu faites pour frapper l’imagination et pour attirer les regards du spectateur. Il fallait avoir un motif particulier pour s’en approcher, pour examiner la beauté des échantillons, pour feuilleter les herbiers contenant les feuilles, les fleurs, les rameaux de chaque espèce d’arbres, et pour chercher à se faire une idée de la physionomie de chacune d’elles. Malheureusement la comparaison des divers bois, au point de vue de leurs applications industrielles, était rendue à peu près impossible par la dissémination des collections dans les différentes cours des pays exposans. Cette dissémination, si fâcheuse à tous égards, puisqu’elle ne permet pas au public de juger de la supériorité relative des divers peuples, ni des procédés de fabrication employés par chacun d’eux, a plus d’inconvéniens encore pour les produits ligneux que pour tous les autres. La finesse du grain, l’épaisseur des couches sont choses si délicates qu’on ne peut les apprécier quand on ne trouve pas réunis sur un même point tous les échantillons qu’on veut comparer.

L’exposition des bois d’ailleurs était très incomplète. L’Europe n’y était représentée qu’imparfaitement, et les autres parties du monde ne l’étaient guère que par les colonies anglaises. Cependant les belles collections du Canada, de la Guyane, de l’Inde, de l’Australie, ne nous en ont pas moins dévoilé des richesses nouvelles et montré des produits sans nombre, encore inexploités, dont l’industrie saura bien quelque jour tirer un excellent parti. Qu’importe d’ailleurs si, pour les bois comme pour le reste, l’exposition a surtout été anglaise, puisqu’elle n’en résumait pas moins la production ligneuse du monde entier ? Ne nous plaignons pas trop de rencontrer partout notre ombrageuse voisine ; puisque son génie, peut-être son climat, la pousse à la conquête des terres inconnues, laissons-la, sans la jalouser, accomplir son rôle providentiel. Grâce au principe de la liberté commerciale, dont la première elle a arboré le drapeau et qu’elle emporte avec elle, ses conquêtes profitent à tous : c’est autant de gagné pour la civilisation et pour l’humanité[1].

  1. Dans son ensemble, l’exposition était anglaise plutôt qu’universelle, moins, comme on l’a dit, parce que la place avait été refusée aux autres nations que parce qu’un grand nombre d’industriels ont négligé d’y prendre part. D’un autre côté, le nombre des visiteurs a été moindre, dit-on, qu’en 1851 et 1855, et l’on prétend que l’entreprise n’a pas fait ses frais. Que conclure de là ? Que, si l’on considère les expositions universelles comme devant avoir un résultat pratique en permettant de constater les progrès industriels accomplis, cette dernière a suivi de trop près les deux autres ; que, si au contraire on se borne à y voir un prétexte pour les peuples de se voir et de se connaître, Londres n’est pas la ville qu’il faut choisir, car, ville d’affaires avant tout, elle n’offre qu’un médiocre attrait, qu’une médiocre distraction à la foule des curieux pour qui l’exposition n’est qu’une occasion de voyage. Je crois que la vraie solution du problème des expositions est celle qu’on trouve développée dans un rapport du prince Napoléon sur l’exposition de 1855. Au lieu d’entasser, comme on le fait aujourd’hui, dans des palais toujours trop étroits tous les produits du monde entier, et de fatiguer le public et les exposans en leur montrant tous les trois ou quatre ans la même chosa, on diviserait en quatre branches les productions de l’activité humaine, — beaux-arts, machines, produits manufacturés, agriculture et produits bruts. — On ferait tous les trois ans, dans des villes différentes, une exposition spéciale pour chacune de ces branches.