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traité portait dans ses flancs la liberté commerciale. C’est ainsi qu’il fut interprété par le public et surtout par les protectionistes, qui comprirent aussitôt que le temps de leur domination était passé. Enfin le 16 avril dernier, dans une solennité agricole, au concours de Poissy, le ministre du commerce, M. Rouher, qui avait pris une si grande part au traité du 23 janvier 1860 et aux conventions postérieures destinées à en régler l’application, proclama au nom de l’empereur le principe même de la liberté du commerce comme la base de la politique commerciale de l’empire. Du moment que la France et l’Angleterre sont d’accord pour soutenir hautement le principe, on peut considérer comme infaillible que dans un bref délai ce sera une règle de la politique chez tous les peuples civilisés. Déjà les événemens parlent : la Prusse, dont le gouvernement, il faut le dire à son honneur, avait toujours eu un penchant prononcé pour la liberté commerciale, la Belgique, qui se souvient de la splendeur des anciennes communes de la Flandre et du pays wallon, l’Italie, qui a fourni à l’économie politique un si grand nombre de bons écrivains, et dont même une belle province, la Toscane, s’était approprié des le siècle dernier ce principe salutaire, la Hollande, que son génie essentiellement commerçant faisait incliner déjà du même côté, tous ces états et d’autres se préparent, par le moyen de traités de commerce, à entrer dans la voie où les appelle l’exemple de l’Angleterre et de la France. Pour la Belgique en particulier, le fait est déjà consommé. La conséquence est facile à prévoir : le drapeau de la liberté du commerce va faire le tour du monde.

Maintenant que se sont dissipées les appréhensions dont étaient dominés nos chefs d’industrie avant le traité de commerce, maintenant qu’ils ont mesuré leurs forces avec celles de l’étranger, et qu’ils se sentent en position de lutter, on peut se demander combien de temps on restera à faire un pas plus décisif que le traité même.

C’est un contre-sens que de recommander à l’industrie d’améliorer ses procédés et de lui susciter des entraves quand elle veut se procurer au dehors les machines nécessaires pour cette amélioration. L’entrée en franchise de toutes les machines est commandée par la logique et le bon sens : c’est la condition même du progrès qu’on s’est proposé. Pour le législateur, c’est un devoir de procurer à l’industrie nationale les avantages dont jouit l’industrie étrangère, son émule désormais. Or, pour cela, il faut qu’elle puisse s’outiller au même prix, et par conséquent acquérir des machines partout où il lui plaît, sans qu’aucun droit vienne exagérer la dépense. Nous sommes encore fort loin de là. Il est des cas où le droit qui atteint les machines reste exorbitant[1]. Les matières premières proprement

  1. L’application des droits est faite, dans certains cas, avec rigueur, probablement par la faute de la lettre des règlemens, L’administration supérieure de la douane est pleine de zèle et de lumières, et elle trouvera sans doute le moyen de corriger ces écarts. Il est à ma connaissance que certaines machines ont payé, depuis le traité, des droits plus élevés que ceux qu’elles auraient supportés auparavant. Les machines où le bois est mêlé au fer dans une forte proportion sont sujettes à ce malheur.