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pour nommer le garde champêtre et l’instituteur, pour conclure les baux et les marchés. On s’aperçoit là qu’en dehors du travail et de l’épargne il y a tout un ordre d’avantages, de gains, d’importance appréciable : par où l’on arrive à comprendre les biens autrement considérables qui pourraient émaner du gouvernement général, distributeur d’emplois, législateur et source de tout règlement, arbitre suprême en ce qui touche les finances publiques, lesquelles touchent tout le monde par l’assiette ou par l’emploi de l’impôt.

Nous avons donné quelque idée des suites pratiques de cet enseignement : il est inutile d’y insister; mais il faut prévoir ici une question ou plutôt une sommation pressante. Où voulez-vous en venir? s’écriera plus d’un lecteur. Est-ce que vous désespérez de la démocratie? Ne voyez-vous pas que ce droit universel du citoyen et de la commune, c’est la démocratie même, la plénitude et la perfection du gouvernement populaire? — Je ne désespère de rien; mais lorsque tant de choses font vivre la société, je ne crois pas qu’une seule puisse la gouverner, démocratie, caste ou royauté absolue.

Rien n’est simple en ce monde, ni l’homme, ni les sociétés, ni le théâtre physique où elles se démènent, ni l’histoire d’où elles procèdent. En outre rien n’est parfait, pas même l’humanité officielle, pas même le souverain, où qu’on le prenne. Dans ce vice et dans cette mêlée des choses humaines, ne serait-il pas merveilleux qu’elles pussent se gouverner par la simplicité, je dirais presque par la brutalité d’un principe unique et absolu, qui ne saurait être un principe infaillible? Voyez donc la Providence à l’œuvre quand elle fait quelque part de la civilisation : elle y procède par le mélange des races et des climats, par la convocation de toutes les forces naturelles et humaines, par la variété enfin. Tel est le gouvernement d’en haut. Pouvons-nous mieux faire que de suivre cet exemple et d’appeler au gouvernement de nos sociétés toutes les forces sociales, chacune à son rang et dans l’ordre de ce qu’elle vaut? La hiérarchie dans les pouvoirs est une suite de l’inégalité parmi les êtres.

Il n’en faut pas moins féliciter une nation de ses instincts démocratiques. Cela veut dire qu’elle a de l’esprit, de l’honneur, que les dons naturels y circulent du haut en bas, y sont dispensés richement. Il n’y a rien de plus grand dans l’histoire que la Grèce antique, que l’Italie du moyen âge, que la France moderne, possédées de ces instincts. C’est par là qu’une race est impatiente des supériorités purement légales, des pouvoirs uniquement fondés sur la tradition et la convention : dans le fier sentiment qu’elle a d’elle-même, elle juge avec une implacable exigence tout ce qui est au-dessus d’elle par la fonction, au-dessous peut-être par le cœur et