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reur, les autres rugissant d’admiration et de tendresse, Pitt a vu se dresser devant lui la fortune de l’Angleterre, une incomparable fortune de corsaire. Il fera la guerre à la France. Ce n’est pas que les principes de la France lui lassent horreur; mais nos colonies et celles de nos alliés, la Hollande et l’Espagne, lui font envie. L’aventure est formidable, mais il la tentera; l’Angleterre peut la payer. Il soldera le continent, il accumulera les emprunts, il engagera l’avenir, il dépensera 10 milliards! Pourquoi donc se gêner envers l’avenir, quand on le féconde et qu’on l’enrichit encore plus qu’on ne l’engage? L’avenir peut bien porter le fardeau des emprunts, quand le présent porte le poids et avance le sang des batailles! Qu’importent la dette, publique et ses accroissemens, quand ceux de la richesse publique sont encore plus rapides et plus considérables? Voilà ce qu’un alderman n’eût jamais compris : au troisième milliard, il eût arrêté les frais. L’alderman a tort, même à son point de vue de l’utile; il verrait, en y regardant mieux, que toute grandeur se résout en utilité. C’est que la grandeur exalte et allume l’esprit d’un peuple. Cela dit tout, l’esprit étant la force humaine qui conduit les affaires de ce monde, une force à toutes fins, un instrument sans pareil pour développer la civilisation, cette chose complexe où l’utile tient sa place apparemment. Rien n’est plus naturel que cette généalogie des choses parmi des êtres qui sont corps et âme.

Dans l’union intime de ces deux substances, l’une ne peut s’élever qu’elle ne tire l’autre après elle. C’est s’en tenir à la moitié des choses que de définir l’homme une intelligence servie par des organes. On voit tout aussi bien dans l’histoire les organes servis et accrus par l’intelligence, ce qui se passe dans notre esprit pénétrant notre condition, et nos conquêtes intellectuelles profitant à notre destinée sociale, à notre progrès économique. Du glorieux, du capiteux à l’utile, le pas est large, mais toujours franchi par la science. Si l’on veut voir d’où vient et par où passe la civilisation, il faut regarder les Arabes, ces échappés du désert, qui eurent tout à coup une certaine civilisation, née des sciences, pour avoir conquis une partie du monde romain. Seulement il n’appartient qu’aux nations de récolter à coup sûr les profits de la grandeur : je n’affirmerais rien de pareil en ce qui touche les individus. Nous n’avons pas toujours le temps, éphémères et fugitifs que nous sommes, de toucher le prix de notre excellence morale : nous en souffrons même quelquefois. Il ne tient qu’à vous d’y voir la marque, la promesse d’une récompense ailleurs; mais parmi les peuples le grand produit l’utile. Un critique a remarqué que le génie des peuples se dénoue et s’épanouit dans leurs prouesses. Telle fut la France au sortir des croisades et l’Espagne pour avoir expulsé les Maures. À ce littérateur ajoutez un économiste; ils verront à eux deux l’ensemble du