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façons qui s’imposent à un gouvernement multiple et que s’épargne un gouvernement unique. Si la politique est affaire de mesure, de temps, de conciliation, si elle est l’art d’attendre et de transiger, qu’y a-t-il de politique dans une commune, où, les voisinages faisant les haines, toutes choses sont expédiées violemment par un pouvoir unique et temporaire qui n’a pas un instant à perdre pour molester et pour humilier ses ennemis, sous prétexte de routes, d’impôts, de police? Les grands pouvoirs ou plutôt les divers pouvoirs qui gouvernent une nation policée s’élèvent par la force des choses à une certaine équité dont l’expression est suum cuique ; mais rien n’est plus étranger au tempérament comme à l’organisme des pouvoirs locaux.

Voilà, si je ne me trompe, quelques différences entre l’état et la commune, et qui sont au cœur même des choses; le reste est à l’avenant. On dirait deux mondes : dans la sphère politique, ce sont d’abord de nouvelles proportions qui se révèlent, puis de nouvelles choses. L’espace, les nombres, l’autorité des traditions, les droits de l’avenir, entrent en scène et s’imposent à toute combinaison, chacun avec son poids et sa légitimité. Affaire à vous, si vous montez là, d’analyser les choses les plus complexes, de concilier les plus diverses et de faire œuvre qui dure, fondée sur le droit, adaptée aux circonstances, autorisée par les mœurs, encouragée par l’opinion. Vous ferez bien d’y apporter, si ce n’est l’habitude des grandes affaires, au moins celle des grands spectacles, une intelligence qui n’a rien fait pour se borner et se flétrir, une certaine ouverture d’idées prise dans le monde, dans les voyages et même dans les livres : je ne vois guère que les livres pour apprendre l’histoire; mais avant tout tâchez de comprendre et d’évaluer les causes morales. Au fond, c’est là ce qui mène le monde. Or il paraît que rien n’est difficile à saisir comme ce point délicat et supérieur des causes morales. Des classes entières, et d’une plus haute école que l’échevin, sont passablement fermées à cette notion : je veux parler des militaires et des médecins. Napoléon lui-même n’a pas tenu compte des causes morales en Espagne, en Russie. Et près de Rachel, plorans filios suos, tel diagnostic, aux yeux de certaines gens, eût peut-être accusé un cas de phthisie ou d’anévrisme. Je veux marquer seulement par cette hyperbole qu’à plus forte raison les communes, l’esprit des communes et les représentans imbus de cet esprit ne comprendront rien aux grandes choses, ni même aux choses d’une nuance délicate et élevée. Là par exemple on n’aura nul souci de la religion des enfans trouvés : protestans, catholiques ou juifs, on les enverra dans une famille d’une religion quelconque, où celle de l’enfant deviendra ce qu’elle pourra. C’est ainsi du moins que les choses se passaient naguère dans une très grande ville de France.