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M. Guizot ce que fut la tyrannie de Charles Ier, « sinon la plus cruelle, du moins la plus inique et la plus abusive que les Anglais eussent jamais soufferte. » J’en puis donner la mesure par deux traits seulement. Le roi donnait ou vendait le monopole de certaines denrées, qui n’étaient pas moins que le sel, la bière, le charbon, le vin, le fer, le cuir, le tabac, le houblon, les cartes, les harengs, etc., c’est-à-dire que les traitans ou certains courtisans pouvaient mettre le prix que bon leur semblait aux choses les plus nécessaires! Un abus moins général, mais plus violent, était de désarmer les milices et de les remplacer par des troupes que l’habitant était tenu de loger et de nourrir. On inventait déjà les garnisaires, dont il fut fait l’usage que l’on sait pendant la terreur et surtout pendant les dragonnades.

Les pouvoirs locaux étaient-ils atteints directement et entamés en eux-mêmes par tout ce despotisme? Je ne sais : je vois pourtant la ville de Glocester condamnée à une forte amende pour une rente de vingt livres qu’elle avait accordée à un ministre non-conformiste et la rente abolie. Quelques protestations s’élèvent, on voit bien comment tout cela finira; mais en attendant il n’est question nulle part d’une commune expulsant les officiers royaux qui levaient des taxes non consenties, d’un comté armant ses milices pour la défense du parlement, enfin d’une initiative ou plutôt d’une résistance quelconque arborée sur un point du royaume par la force et par la fierté des pouvoirs locaux.

Tels furent ces pouvoirs pendant la dictature royale, tout ce qu’il y a de plus inerte, de plus passif. Et savez-vous ce qui arriva quand ce fut le tour des opprimés d’être oppresseurs et dictateurs, quand Cromwell fut seul à parler et à mentir, comme dit un ambassadeur vénitien? Ces mêmes pouvoirs abdiquèrent ou se dénaturèrent quant aux personnes : à l’indifférence succéda la démission. « Cromwell, dit M. Guizot, voyait partout dans les comtés presque tous les hommes notables se retirer des affaires publiques, abandonner les comités administratifs, les magistratures locales, et le pouvoir passant aux mains des gens d’une condition inférieure. » Aussi la chose est claire. Menace qui voudra la liberté, les pouvoirs locaux ne la défendent contre personne, avec cette nuance seulement qu’ils sont tantôt inertes, tantôt démissionnaires, selon la qualité des tyrannies, selon l’origine des agresseurs.

Que la prérogative locale, que le sentiment local fussent de peu dans ces hautes affaires de conscience, j’en ai la marque assurée dans le fait de l’émigration, qui fut en ce moment une des formes de résistance les plus courues. On quittait son champ et sa maison, on laissait derrière soi les os de ses pères pour emporter ses dieux in-