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politique et religieux qui produit ses instrumens à son image, qui les tire des consciences et non des localités, qui crée même des associations nouvelles pour une œuvre où ne suffisent plus les vieilles associations qui s’étaient formées, pour quelque besoin de commerce ou de sûreté, autour du manoir, du pacage, du fleuve, du bois, du carrefour, du marché... Qu’on jette les yeux d’une certaine hauteur sur les grands traits de ces événemens; on y prendra cette conviction que rien ne s’est remué de local en tout ceci, que les intérêts même généraux y furent toujours primés par les fanatismes, c’est-à-dire que le drame était dans les consciences, d’où il sortit, au jour de l’action, armé de toutes pièces neuves, et non de ces vieilles machines répandues sur le territoire sous le nom de bourgs, de paroisses. C’est alors, c’est ainsi qu’eurent lieu la fondation et l’armement définitif de la liberté anglaise. Reculez de quelques siècles, et regardez vivre l’Angleterre. Est-ce un pays libre? Non, pas encore; seulement il marche à grands pas vers la liberté; il en possède déjà quelques avantages, une certaine sûreté des personnes et des biens; il n’en a jamais perdu de vue les images parlementaires; il a montré dès le moyen âge, à une certaine façon de manier la couronne et ses favoris, des mœurs qui promettent la liberté; mais enfin ce n’est qu’un acheminement.

Qu’est-ce donc qui empêche cette race ainsi faite d’achever ses lois à son honneur et de prendre pleine possession d’elle-même? Ce qui l’empêche, c’est la race, laquelle, avec ses instincts, est aussi bien sur le trône que parmi la nation. Quand cette influence est quelque part, elle est partout. En même temps qu’elle peuplait le sol anglais de rudesses et de fiertés civiques, elle engendrait sur le trône un inconcevable appétit de despotisme. Du même fond que les sujets se redressaient obstinément, le monarque s’opiniâtrait à leur marcher Sur la tête. Ces Tudors régnaient comme des énergumènes. Peu d’histoires sont aussi lugubres : on y voit à tout propos des caprices poussés jusqu’au sang. Nos Valois, vers la même époque, n’approchent pas de cette férocité, et peut-être faudrait-il remonter aux empereurs romains pour retrouver un tel déchaînement de violences et de fantaisies.

Mais enfin, direz-vous, la force est au nombre : une nation, à qualités égales, doit prévaloir sur son roi. Oui, sans doute; encore faut-il que le nombre ait le sentiment de sa force, qu’il éprouve le besoin de s’en servir, qu’il s’élève à la révolte. Attendez un peu ; ceci ne peut être qu’un effet de religion ou plutôt de dispute religieuse. Comme la religion est un des rares sentimens qui descendent jusqu’aux masses, jusqu’à ces profondeurs où la grande affaire est de subsister, la dispute religieuse a l’insigne privilège de mettre en mouvement la force en même temps que la passion des masses.