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l’individu, quand tous les titres et tous les droits étaient convoqués de toutes parts.

Et pourtant ce pays avait eu des communes douées en leur temps de quelque autonomie! Il faut croire qu’elles avaient laissé peu de traces dans sa mémoire, qu’elles ne s’étaient guère établies dans son estime et dans ses affections. Le pays ne s’en souvenait plus, ou n’en voulait plus. Il rasait tout, les communes non moins que les parlemens, les assemblées du clergé et les pays d’états : autant d’institutions qu’il répudiait parce qu’avec un air de liberté elles avaient un fonds d’égoïsme et de privilège. Étrange condition d’un pays où le droit n’a pas de racines, pas d’ancêtres, auquel son histoire ne rappelle nul bon souvenir! Le droit national avait si peu vécu en France, il y avait tellement péri, qu’on fit appel aux archéologues vers 88 pour retrouver le mode d’élection des états-généraux. Les droits locaux n’étaient guère en meilleure posture, indifférens aux populations et envahis par la crue monarchique, même au XVIIIe siècle, où les intendans, les subdélégués, les maîtres des requêtes, le conseil d’état, absorbaient et dirigeaient tout, sans nul prétexte de grandeur royale ou ministérielle.

Quelques pays ont pu grandir en toutes choses, y compris la liberté, par un simple développement de leurs traditions : il leur a suffi d’avancer dans la voie où ils étaient déjà par une amélioration graduelle du moyen âge. La France n’eut pas cette fortune, avec ses annales vides de liberté, avec son passé de tant de siècles, où le droit ne s’établit nulle part. Connaissez-vous la vision de Jean-Paul, quelque chose d’allemand, d’apocalyptique, je vous préviens de cela, — un ciel en feu, un temple écroulé; au milieu de ces angoisses et de ces ruines, une troupe d’enfans agenouillés, en larmes, en prières?... Le Christ est parmi eux, éploré comme eux; il vient de parcourir l’immensité des cieux, la profondeur des espaces, tous les abîmes de l’infini, et il s’écrie éperdu : Nous n’avons pas de père! — Eh bien! fouillez notre histoire, interrogez les ténèbres et les grimaces du moyen âge, remuez toute cette poussière qui fut la France, je vous défie d’y trouver, d’en rapporter un droit.

Je reviens à cette loi de 89, que je n’aurais peut-être pas dû quitter, où le sentiment du pouvoir central est empreint si fortement. Ne croyez pas que les droits locaux y fussent oubliés ; on n’oubliait rien alors en fait de droit. Les communes étaient bridées sans doute, mais par les administrations de département, qui étaient à cette époque des corps électifs. Ainsi ce que les communes perdaient d’indépendance n’allait pas enrichir et fortifier d’attributions nouvelles le pouvoir central, le pouvoir exécutif. En un mot, la discipline des localités était locale. C’est ce qui arrive aux communes en Hollande et en Belgique. Elles ont à compter avec ce qui