Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces services? Ils feraient peut-être ailleurs ce qu’ils n’ont pas fait là où ils étaient primés dans cet office par une caste clouée d’avantages et de précédens supérieurs. Une chose est sûre : c’est qu’il faut dans une société des êtres collectifs, à mi-chemin de l’état et de l’individu, des intermédiaires entre ces deux puissances. Cela importe à l’équilibre des sociétés, lesquelles autrement pencheraient sans mesure vers le pouvoir absolu ; cela touche à leur honneur, qui est de s’appartenir quand elles ont un certain âge de civilisation. Comme en France ces êtres ne nous sont pas donnés par la tradition, comme ce lest a péri en certain naufrage fort empressé de tout engloutir, il ne nous reste plus, si nous voulons retrouver notre taille et notre aplomb, qu’à instituer des communes qui soient de véritables pouvoirs, et pour ainsi dire des souverainetés locales.

C’est bientôt dit; mais l’engagement est grave, l’entreprise laborieuse, car premièrement il s’agit de créer, et même de créer une chose qui a contre elle tous les précédens nationaux, y compris les révolutions. En second lieu, il se pourrait bien que l’entreprise fût absolument sans portée, sans issue : c’est une question de savoir si, menée à bien, elle tiendrait tout ce qu’on s’en promet. Historiquement, il paraît clair que les pouvoirs locaux sont indifférens ou impuissans pour la liberté générale. D’un autre côté, a priori, on peut les soupçonner de ne produire ni intelligence, ni science politique, de n’être nullement ce qu’il faut pour susciter des hommes d’état ou même des citoyens éclairés.

Nous ne pouvons montrer à la fois tout cela. Cherchons d’abord la place que tiennent les communes dans notre passé, l’estime qu’on en fit à l’heure des grandes nouveautés, le rôle actuel qui leur est échu dans nos institutions. Nous nous demanderons ensuite si la vie qu’elles eurent vaut la peine d’être ranimée, en tout cas si elles pourraient revivre pour les prodigieux services que nous en attendons aujourd’hui.


I.

Il est fâcheux de n’avoir pour soi ni la tradition ni le progrès, d’être sans prestige et sans fécondité. C’est en cet état pourtant que nous trouvons les communes. Franchement vous allez chercher là, pour en faire quelque chose d’utile et de vivant aujourd’hui, ce que le passé produisit de moins solide et de moins brillant en fait d’êtres collectifs. C’était peu de chose que les communes : aujourd’hui c’est le nom de trente ou quarante mille groupes répandus sur le sol de la France, avec certains droits et certaine vitalité. Autrefois ces groupes étaient autant de fiefs, gouvernés absolument