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trop avoir présente à l’esprit, et que cependant elles ont du penchant à méconnaître.

Qu’une pratique condamnable se révèle et qu’elle fasse scandale : les administrations publiques presque toujours en prennent occasion pour décréter un règlement destiné à en prévenir le retour. Ce règlement prescrit tel ou tel mode d’agir et interdit tel ou tel autre, sans qu’il soit jamais possible d’assurer que l’interdiction prononcée aujourd’hui ne doive pas être des demain un obstacle au progrès, ou, pour mieux dire, quoiqu’il y ait lieu de prévoir que prochainement elle sera cet obstacle. Le plus souvent ces règlemens introduisent l’immixtion de l’autorité, par voie d’autorisation, dans des actes qui devraient être laissés à la libre action des particuliers. La masse du public, il faut le reconnaître, ne trouve presque jamais que le règlement soit excessif. Elle le voudrait plus restrictif encore, et souvent c’est elle-même qui l’a provoqué. C’est ainsi que la liberté de l’industrie, proclamée dans sa plénitude des le début de la révolution française, a depuis lors reçu de nombreuses atteintes.

Les Anglais ménagent beaucoup plus la liberté et sont beaucoup moins prompts à la sacrifier. Quand un fait même criant se produit, alors même qu’il aurait été accompli avec les caractères du crime, le premier mouvement des Anglais est, comme celui des Français, la réprobation, l’indignation même ; mais ce n’est pas en faisant une brèche à la liberté du travail qu’ils cherchent le remède : ils préfèrent l’attendre de la fermeté de la raison publique et de l’ascendant qu’exerce l’opinion. Ils supposent que dans l’industrie la surveillance du public, la vigilance du consommateur et le sentiment que doit avoir le producteur de son intérêt bien entendu mettront chacun et chaque chose à sa place et garantiront l’intérêt public de la lésion dont on a pu le croire menacé. Le maintien de la liberté des transactions leur paraît être la principale sauvegarde de l’intérêt général. Ils ont rarement dérogé à cette règle, et ils ont eu à s’en applaudir. Ce n’est pas à dire qu’à la faveur de la liberté des abus ne puissent apparaître ; mais, sans méconnaître que les abus sont possibles, et même qu’ils peuvent être graves, ils estiment que dans l’ensemble, et pour la plupart des cas, ils seront moins préjudiciables à la société que ne le seraient des restrictions à la liberté.

À ce point de vue, nous aurions en France lieu de procéder à une revue générale de nos règlemens administratifs. Les revoir sera assurément une laborieuse entreprise ; mais c’est commandé par l’intérêt public. Pas de liberté suffisante pour le travail, si cette révision n’a lieu, et si elle n’est faite pied à pied. Le ministre qui entreprendra le premier cette tâche dans son département aura acquis un titre du premier ordre à la reconnaissance publique. Il aura