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prince Félix de Schwarzenberg, le ministre éminent qui dirigeait alors les affaires de l’Autriche, rappelle à certains égards ces hommes d’état dont l’Angleterre surtout offre parfois l’étonnant exemple, ces Peterborough, ces Bentinck et leurs semblables, qui ont su interrompre subitement une vie adonnée aux plaisirs et aux folles légèretés du monde pour se révéler d’emblée comme de véritables génies politiques et mourir avant l’âge après avoir épuisé les ivresses du bonheur facile et de la gloire, bien autrement ardue. On sait de quelle main hardie et ferme le prince saisit la direction de l’état, et en combien peu de temps il sut relever une monarchie placée au bord de l’abîme. Sa conduite fut-elle de tout point irréprochable, fut-elle même prévoyante jusqu’au bout? et n’avait-il pas préparé par l’intervention russe en Hongrie, par l’étouffement de toutes les libertés locales, et surtout par ce programme de centralisation à outrance trop fidèlement suivi par son successeur, M. Bach, les embarras et les dangers au milieu desquels se débat présentement l’empire des Habsbourg? Là n’est point pour nous la question. Bornons-nous à constater que rarement ministre a rencontré plus de bonheur dans sa courte carrière, trouvé tant d’assurance dans le succès, et jusque dans les nécessités fâcheuses parlé d’un ton plus fier et plus hautain. C’est contre un tel homme qu’allaient se heurter M. de Radowitz avec ses rêveries, M. de Manteuffel avec ses timidités! Du reste, si les intérêts de l’Autriche et les principes d’une politique réactionnaire ne faisaient déjà que trop un devoir au prince de Schwarzenberg de combattre de toutes ses forces les plans prussiens, il faut ajouter encore qu’un ressentiment pour ainsi dire tout personnel vint stimuler chez lui les ardeurs du combat et en rehausser le vif plaisir, car c’est à la Prusse qu’il s’était adressé d’abord pour obtenir du secours contre les Hongrois, et ce n’est que sur le refus du cabinet de Berlin qu’il avait dû accepter l’intervention du tsar Nicolas, dont il ne fut pas certes le dernier à reconnaître les conséquences graves pour l’avenir. Aussi l’homme qui se promettait « d’étonner encore le monde par l’immensité de son ingratitude » ne se fit-il pas faute de l’amuser d’abord par les ressources inépuisables de sa rancune, — et il fit à la Prusse une guerre diplomatique sans trêve ni merci, harassant le gouvernement de Berlin à tout moment, l’arrêtant à chaque mot, le chassant successivement de toutes ses positions. Dans des notes pleines de hauteur, de menace, de fine malice, et parfois même d’humeur dégagée, il mettait à néant toutes les prétentions de la Prusse à former une union restreinte, tous ses essais de constitution fédérale; il éclairait d’une lumière brûlante toutes ses contradictions et en appelait toujours au « bon droit, » qu’il avait la cruauté de ne pas même définit comme le droit ancien, de sorte qu’on avp.it à redouter quelque chose de