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fense vigoureuse des Marches allemandes ! » Le brave soldat ne pensait nullement aux Marches, mais au trône des Habsbourg, et il le prouva bientôt péremptoirement à l’assemblée en faisant fusiller à Vienne un de ses représentans les plus remarquables, le malheureux Robert Blum. L’Italie se débattait alors dans une lutte héroïque contre la domination étrangère. Non-seulement les législateurs germaniques n’essayèrent aucune démarche de médiation qui, pour être probablement sans résultat, n’aurait pas certes été sans mérite, mais ils applaudirent avec un enthousiasme frénétique à la déclaration du général de Radowitz, que le Mincio constituait la « frontière allemande, » — et c’était pourtant un Manin qui défendait la Venise désolée ! Le grand-duché de Posen est, comme on sait, une dépouille échue à la Prusse du criminel partage de la Pologne ; les traités de 1815, en reconnaissant à la dynastie de Hohenzollern la possession de ce territoire, avaient expressément stipulé pour lui une autonomie en dehors de la confédération et de la monarchie même. Une grande nation qui se relevait et cherchait à composer son unité eût dû, ce semble, tenir à honneur de répudier autant qu’elle le pouvait toute solidarité dans l’œuvre à jamais honteuse du démembrement d’un peuple, et le parlement de Francfort se fût assuré l’éternelle gratitude de la Pologne, s’il avait simplement exhorté le gouvernement prussien à réaliser dans cette province les « institutions nationales » auxquelles il s’était engagé par des traités solennel ? ; mais il y avait sur la Wartha des « frères allemands, » — c’est-à-dire des colons qui avaient fui autrefois devant les persécutions religieuses en Allemagne, et que la Pologne avait généreusement recueillis, aussi bien qu’une armée d’employés étrangers qui vivaient aux dépens du pays, — et la constituante de Francfort décréta et obtint de la Prusse l’incorporation du grand-duché de Posen dans la confédération germanique. Les réclamations des Polonais furent accueillies avec une dédaigneuse hauteur, et on se montra prodigue d’injures et d’outrages envers une nation dont les malheurs appelaient au moins le respect. L’esprit allemand marchait ainsi de violences en violences, à ce point qu’il y eut un député du nom de Eisenmann qui adjura ses collègues de ne pas oublier « les frères allemands de l’Alsace. » Que la Germanie ait dès son début laissé entrevoir tant de fol orgueil et d’insatiable avidité, ce n’est pas là certes ce que pourrait le plus regretter une Europe soucieuse de ses intérêts et avertie ainsi de bonne heure ; mais que des penseurs profonds, qui avaient passé la moitié d’un siècle à discuter sur le moi et le non moi, aient montré une telle incapacité à distinguer entre le mien et le tien, cela prouve malheureusement qu’il y a parfois des choses dans ce monde, comme le dit Hamlet, dont ne se doutent pas toujours les philosophes.