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était évident qu’il ne devait ses premiers succès rapides et fugitifs qu’à un calcul purement humain, aux espérances qu’il avait fait naître d’abord chez les patriotes allemands, aux illusions qu’ils se firent dans le premier moment sur la portée politique possible et probable d’une pareille œuvre. C’eut été en effet une rare bonne fortune pour les patriotes si, grâce au curé de Laurahütte, ils eussent réussi à effacer la seule division véritable, point factice et diplomatique, mais réelle et persistante, qui sépare toujours les enfans de la même patrie : la division entre catholiques et protestans. Plus d’un esprit éminent se laissa prendre à ce calcul, prédit un avenir immense à la « mission » des néo-catholiques allemands, et y perdit sa renommée de prophète. Bientôt les questions purement politiques prirent le dessus et dégagèrent la situation. L’opinion devint de jour en jour plus exigeante, le mouvement plus prononcé, et le roi fit comme font d’ordinaire, hélas! tous les rois : il accordait toujours trop tard et par petites doses ce qu’il aurait dû concéder à temps et d’emblée. Ce furent tantôt des allégemens apportés au régime de la presse, tantôt des modifications libérales dans la législation exceptionnelle qui pesait sur les Juifs; les importans ou les initiés allèrent jusqu’à affirmer que le monarque mûrissait lentement dans son esprit un projet de constitution véritable. Les Berlinois, nés malins eux aussi, à les en croire, soutenaient même que l’œuvre du roi était prête depuis longtemps, et qu’il attendait pour la publier que M. Meyerbeer l’eût mise en musique.

Les pas qu’on faisait ainsi dans la voie du progrès étaient bien timides, bien chancelans sans doute. Il suffit cependant du souffle nouveau introduit dans une masse aussi longtemps inerte et aussi imposante que la Prusse pour introduire une nouvelle vie dans tous les autres états de l’Allemagne, pour enhardir l’esprit public et réveiller les espérances les plus chères. Un fait au moins ressortait de cette situation confuse, c’est que le nouveau roi de Prusse ne se prêterait plus aussi complaisamment que son prédécesseur aux vues réactionnaires de M. de Metternich, qu’il ne serait pas l’auxiliaire bénévole du vieux chancelier dans ses expéditions fédérales à l’intérieur, — et ce fait seul avait de quoi encourager bien des entreprises. Aussi vit-on bientôt les chambres des petits états, surtout en Bade, reprendre leur essor au milieu d’une attention devenue plus vive et plus générale; les vieux libéraux du sud, qui avaient eu le mérite de rester sur la brèche malgré toutes les sommations du désespoir, et en soldats infatigables de marquer le pas pendant une halte cruellement prolongée, redoublèrent alors d’efforts et d’éloquence, et se firent les interprètes des vœux et des attentes de la patrie commune. Des rapports personnels et des ententes politiques ne tardèrent