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la maison de Brandebourg, et l’année 1740 celui de Frédéric le Grand, qui avait élevé la monarchie au rang des premières puissances de l’Europe. Le règne installé en 1840 marquerait-il également dans les grands fastes de la nation?

Ce n’est pas sans une certaine émotion qu’on peut se rappeler la figure de ce roi Frédéric-Guillaume IV, dont l’avènement avait été salué par tant de pronostics et d’espérances, qui devait vider plus tard le calice amer d’une révolution plus mortifiante encore pour son orgueil que fatale à son pouvoir, et dont l’esprit finit par s’éteindre au milieu de ténèbres qui contrastaient douloureusement avec l’ancien éclat d’une intelligence assurément peu ordinaire. Figure profondément originale dans tous les cas, curieuse à étudier, et qui ne laissera pas de ressembler parfois à une énigme! On l’a appelé un romantique : le Romantique sur le trône de César, tel fut le titre d’une publication piquante que le célèbre docteur Strauss lança dans le temps à l’adresse du Hohenzollern ; il serait peut-être aussi juste de voir en lui un patriote attardé de 1813, un épigone de la guerre de délivrance. Il avait pris part à cette guerre et assisté à la bataille de Bautzen; il portait l’empreinte de l’esprit tudesque et mystique qui avait caractérisé les teutomanes de ce temps; il garda jusqu’à la fin une aversion marquée pour les « Welsch, » à tel point que, malgré son goût très vif pour la peinture, il ne voulut jamais acquérir un tableau de l’école française. Avec tout cela, il était prince; il était resté longtemps sous la tutelle et la direction du trop fameux M. Ancillon, et avait sur son pouvoir royal une doctrine toute spéciale et théologique, pleine «d’humilité devant Dieu » et d’entêtement devant les hommes, doctrine qui, après un long assoupissement, est venue tout récemment surprendre le monde d’une manière désagréable et retentir de nouveau dans la bouche de son successeur. Protestant fervent, il eut cependant pour ami de cœur un catholique zélé, le général de Badowitz ; une philosophie commune, puisée dans les doctrines de MM. de Maistre et de Haller, fermait le lien entre ces deux hommes. C’est surtout par ses tendances piétistes que le roi se révéla d’abord à la nation et entra en lutte avec elle. « Moi et ma maison, nous voulons servir le Seigneur, » dit-il en une occasion solennelle, et il est remarquable que le cabinet qu’il avait composé, et qu’il garda jusqu’en 1848, ne fut jamais autrement désigné que par le nom du ministre des cultes, M. Eichhorn, volontaire de 1813 et piétiste comme le roi. La gloire de l’Allemagne, la grandeur de la patrie commune lui tenaient certainement à cœur; il proclamait hautement la nécessité de réformer la confédération germanique, et de lui donner une attitude plus unitaire à l’intérieur, plus digne surtout au dehors; mais il ne sut jamais s’expliquer clairement sur les moyens propres à atteindre ce