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celle qui vient après une universelle compréhension. Dans cette dialectique terrible, rien n’est fixe et stable, l’existence est un va-et-vient continuel entre l’être et le non-être ; toute affirmation implique en soi sa négation, toute thèse produit son antithèse, puis toutes deux se résument dans une thèse supérieure qui passe de nouveau par le même procès, et ainsi de suite jusqu’à l’infini. La logique, c’est-à-dire les principes, n’est elle-même qu’une phénoménologie, une série d’évolutions de la pensée dans le temps. Seul, l’esprit contient l’absolu, dont l’essence est de tout comprendre et de tout résoudre (resolvere, au vrai sens du mot) dans ses successions antinomiques. Poursuivez cette dialectique à travers toutes les manifestations de la vie, et vous créez ainsi un grand nirvanâ spéculatif, l’anéantissement par le savoir; transportez-la dans la sphère de l’état, et, au lieu de vous mêler aux événemens, vous les comprendrez, vous les dédaignerez et vous les laisserez aller. Pourquoi en effet défendre avec toute votre énergie une thèse que vous savez légitimement produire son antithèse et se résoudre dans une synthèse qui, elle aussi, subira à son tour le même procès? A quoi bon prendre décidément un parti, lorsqu’on sait qu’en définitive tout est antinomique? Mieux vaut embrasser du coup et dans l’esprit le pour et le contre, c’est-à-dire regarder et comprendre, la dignité suprême de l’esprit ne consistant pas dans l’action, mais dans la spéculation (spectare), non pas dans la ἐνέργεια d’Aristote, mais dans le νοῦς de Thalès.

Qu’on veuille bien se rendre compte de la portée politique de cette doctrine! Elle prêchait une sorte de catholicité, s’il est permis de s’exprimer ainsi, qui s’accommodait de tout, précisément parce qu’elle s’élevait au-dessus de tout. Ceux qui voient dans Hegel l’antechrist, la contrefaçon satanique du Sauveur, ne devraient pas oublier ce trait, que, lui aussi, avait enseigné la résignation. Se pénétrant de cette dialectique vertigineuse, l’Allemagne tâcha de s’accommoder de tout, de tout comprendre, de comprendre même son non-être et de se justifier son néant. Qu’on veuille bien aussi se rendre compte du labeur énorme et tout matériel que cette nouvelle philosophie imposait aux intelligences germaniques, et qui devait les absorber pour de longues années. Il est d’usage de l’autre côté du Rhin, à l’apparition de tout nouveau système vainqueur, de lui adapter les diverses branches du savoir humain, d’équiper les sciences d’après le nouvel uniforme, et d’amener devant le jeune Adam toute créature pour qu’il lui donne un nom. Un pareil travail devint d’autant plus nécessaire en présence d’une philosophie qui se posait comme l’absolu, et qui déclarait se retrouver et se vérifier dans toutes les apparitions de l’univers. Il fallut donc entreprendre un grand travail de révision sur toutes les connaissances déjà ac-