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cause de la guerre, et puisqu’elle supprime toute aspiration nationale, toute légitime fierté, le maintien des états confédérés devient, comme celui de l’antique Union fédérale, une impossibilité morale et politique.

Moins hardi, moins simple dans son argumentation que le livre de M. Spence, celui de M. Auguste Carlier, l’Esclavage dans ses rapports avec l’Union américaine, conclut également à la reconnaissance des états confédérés ; mais cette conclusion est enchevêtrée de telles réticences et de complications si nombreuses qu’elle en devient tout à fait incompréhensible. Certes nous ne contesterons pas absolument le mérite d’une étude préparée depuis plusieurs années déjà par des recherches entreprises sur le théâtre même de la lutte actuelle et poursuivies en dehors de toute espèce de parti, uniquement par amour de la vérité pure. Cette étude renferme sur la distribution et sur les rapports des races aux États-Unis, sur l’histoire de l’esclavage jusqu’à nos jours, sur la condition des nègres libres et asservis, les renseignemens les plus précieux, classés, ordonnés, étiquetés pour ainsi dire avec le plus grand soin ; mais les préoccupations du légiste semblent avoir fait perdre de vue à l’auteur la haute gravité morale de la situation. Après avoir raconté avec une froide impartialité l’horreur du sort que la loi fait à l’esclave, après avoir parlé de la traite des noirs, des haras de la Virginie, des limiers de chasse lancés à la poursuite des fugitifs ; après avoir décrit les ventes à l’encan et le douloureux spectacle qui lui fut offert par l’adjudication de deux sœurs orphelines disputées en dépit de leur désespoir et de leurs sanglots par deux enchérisseurs, l’écrivain flétrit les « menées des abolitionistes » et « leurs voies, ténébreuses ; » il reproche aux gens du nord de n’avoir pas exécuté la loi sur les esclaves fugitifs malgré la solennité de l’acte qui la consacrait ; il plaint les maîtres qui souffrent dans leurs affections par la fuite de leurs noirs ! Entre les deux partis qui se disputaient avant la scission le gouvernail de la république, il ne sait prononcer de sentence, et comme si les compromis entre l’esclavage et la liberté n’avaient pas déjà fait tant de fois le malheur et la honte des États-Unis, il se complaît dans la perspective d’un avenir qui ne ferait qu’éterniser les compromis. Les matériaux qui ont servi de base à son travail, les documens, les titres, les registres, les journaux et les livres qu’il a compulsés, les hommes et les choses qu’il a interrogés comme témoins l’embarrassent au point de lui interdire toute conclusion sérieuse. En tête dès quelques pages consacrées à la discussion des accommodemens proposés, il se demande même si la question de l’esclavage est soluble.

Une seule chose est certaine pour M. Carlier : c’est qu’il faut repousser à tout prix l’émancipation pure et simple, soit par voie révolutionnaire, soit par voie de rachat. De l’émancipation découlerait ce torrent de maux effroyables dont on menaçait vainement le monde lors de l’affranchissement des nègres dans les colonies anglaises et depuis dans les Antilles françaises. Les noirs se révolteraient sans doute, et l’Amérique du Nord tout entière serait transformée en un vaste Saint-Domingue ; la civilisation battrait en