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vérité humaine pour frapper l’imagination par des coups de théâtre. Ce genre, qui n’est pas nouveau, a trouvé dans M. Dumas fils son plus habile ouvrier, et, peu ou prou, toutes les manifestations de l’art moderne sont entachées de ce défaut indélébile. Quoi qu’il en soit, il y a dans ce petit ouvrage deux ou trois morceaux qui font honneur à M. Prosper Pascal : l’ouverture d’abord, qui est clairement dessinée, un duo entre la marquise et le baron, les couplets du baron et surtout la romance très jolie que chante la marquise : L’eau qui caresse le rivage ; mais ce qu’il faut surtout recommander à M. Pascal, c’est son orchestre, qui manque de substance et de variété. Le Cabaret des amours précède maintenant Lalla-Roukh, qu’on a repris il y a quelques jours. La musique de cet ouvrage n’a rien perdu de son charme. Le premier acte reste toujours un chef-d’œuvre de grâce, de sentiment et de morbidesse pittoresque. Le second, bien qu’inférieur au premier, renferme encore l’air de la princesse — O nuit d’amour ! — le duettino entre Mirza et Lalla-Roukh, le duo bouffe qui tranche dans cette œuvre élégiaque par le ressort du rhythme et la franche gaîté qui en jaillit, et le duo des deux amans. On peut affirmer, je crois, que l’épreuve est faite et que Lalla-Roukh est non-seulement le chef-d’œuvre de M. Félicien David, mais la partition la plus distinguée et la plus originale qu’on ait produite en France depuis plusieurs années. L’exécution est toujours soignée. M. Montaubry me semble avoir fait des progrès depuis six mois. Sa jolie voix de ténor est en très bon état, et il a chanté la romance du premier acte et celle du second avec un goût plus pur et une sensibilité plus contenue et plus vraie. Tous les autres rôles sont remplis avec le même soin par les artistes qui les ont créés. Il n’y a pas jusqu’à Mlle Bélia qui ne soit mieux dans le personnage de Rezia, qu’elle joue et chante avec beaucoup d’entrain. Oserons-nous avouer cependant que la belle voix de Mlle Cicco nous a paru un peu fatiguée ? Quel dommage ce serait qu’une artiste aussi jeune, aussi intéressante, aussi bien reçue du public et de la critique, eût déjà contracté cet horrible tremblement qui affecte l’organe de tous les chanteurs de notre époque ! Prenez-y donc garde ; ménagez cette poitrine un peu délicate peut-être de Mlle Cicco, qui renferme un noble instinct et un si bel organe de cantatrice dramatique. Les représentations de Lalla-Roukh, alternant avec celles de la Dame blanche, retiendront la foule qui, depuis la nouvelle direction de M. Perrin, a pris le chemin du théâtre de l’Opéra-Comique. De tout ce qu’on vient de dire, ne pourrait-on pas conclure que les admirateurs sincères de la beauté, qui n’a pas d’âge, que les défenseurs passionnés des chefs-d’œuvre du génie sont plus indulgens, meilleurs juges de ce qui se fait de bon dans leur temps, plus jeunes de cœur et d’esprit que ces pauvres initiateurs de l’avenir qui parlent de Pindare, de Dante, ou de Sébastien Bach avec une suprême innocence ? M. Sardou a raison : « "Vivent les ganaches ! »

Nous sommes heureux de terminer ce discours par une bonne nouvelle : le Théâtre-Italien a donné le 13 de ce mois de novembre Cosi fan tutte de