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saisi les traits sont infiniment plus jeunes, plus amusans et plus sensés que les représentans obscurs de cette critique éphémère qui veut fonder l’art de l’avenir en dédaignant les merveilles du passé, qu’elle ne s’est pas donné la peine d’étudier.

Le théâtre de l’Opéra-Comique a donné il y a quelques jours, le 9 novembre, une petite pièce en un acte, le Cabaret des Amours, dont le sujet nous ramène encore à la question des vieilles et des jeunes amours. En effet, le vieux baron Cassandre et la marquise de Zirzabelle se rencontrent, après bien des années, dans le cabaret du père Lesturgeon, où ils se sont tant amusés dans le beau temps de leur jeunesse. Ils trouvent maintenant que ce cabaret, qui était à la mode il y a un demi-siècle, n’est plus qu’une gargote fréquentée par des gens impossibles, qui ne savent pas s’amuser et rire comme on le faisait autrefois. Ce n’est pas l’avis de Lubin et d’Annette, couple de jeunes amoureux qui trouvent au contraire que tout est pour le mieux dans le meilleur des cabarets connus. Les choses se passent ici comme dans les Ganaches de M. Sardou et comme dans la critique contemporaine : ce sont les vieux qui triomphent, qui ont plus d’esprit, d’indulgence et de véritable jeunesse de cœur que les représentans du progrès et les initiateurs de l’avenir. La marquise de Zirzabelle, enchantée de la joie qui éclate autour d’elle et touchée de l’amour que se portent les deux jeunes gens, les marie ensemble et dote la pauvre Annette, dont elle fait le bonheur ; ce qui prouve une fois de plus que pour apprécier la vie il faut la connaître, et qu’on ne peut bien juger les faits et les œuvres du présent si l’on dédaigne de s’éclairer sur les monumens du passé. L’art est une tradition, une chaîne continue d’effets et de causes qui s’engendrent tour à tour, et dont l’histoire est un enchantement de l’esprit pour ceux qui savent la lire. La musique de cette petite pièce, écrite d’un style trop précieux, et dans laquelle M. Couderc représente avec infiniment de souplesse le baron Cassandre et Lubin, ce qui me paraît plus bizarre qu’amusant, cette musique, qui ne manque pas d’une certaine distinction, est de M. Prosper Pascal. Écrivain de goût et artiste de talent, M. Prosper Pascal a déjà produit deux opéras en un acte, qui ont été représentés au Théâtre-Lyrique. Dans ces deux ouvrages, comme dans celui qui nous occupe, on a remarqué quelques touches délicates, des inflexions mélodiques qui ne manquent ni de sentiment, ni de grâce, et un effort sensible pour éviter les banalités ; mais il faut prendre garde de ne pas confondre sous ce nom de banalités la franchise des idées et la clarté de la forme qui ne sont pas des préjugés dont on puisse secouer le joug impunément. Je fais surtout cette recommandation à M. Prosper Pascal, parce que je lui connais des admirations dangereuses et qu’il serait disposé à préférer les finesses et les artifices des faux poètes alexandrins, comme M. Gounod par exemple, à la netteté, à la passion franche et délibérée des bons génies. Qu’il y prenne garde : il y a de nos jours toute une littérature et un art qui lui correspond, qui ne visent qu’à l’effet du mot et du détail, et qui laissent échapper la grande