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faim, parce que là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, les deux moitiés d’une république s’entre-tuent ? Devant de telles calamités, l’homme sensible, comme disaient nos grands-pères, est douloureusement ému, l’homme sage adresse aux combattans des exhortations pacifiques, l’homme pieux envoie au ciel les plus ferventes prières. Dans l’ordre du sentiment, tout le monde est d’accord. La tâche de la politique est bien autrement délicate et difficile. Il suffit d’être humain pour séparer deux furieux qui se battent dans la rue ; mais déjà le philanthrope cesserait d’être un galant homme, si, à moins d’être le second d’une des parties, il s’avisait d’intervenir dans un duel et d’usurper sur autrui la garde qu’a chacun de son propre honneur. Combien est plus grave en politique l’immixtion d’un état dans la querelle de deux états ! combien plus grave encore l’intervention étrangère dans une guerre civile que le gouvernement d’un autre état soutient contre un parti insurgé ! Certes la dextérité singulière, l’art véritable avec lesquels sont évités dans la dépêche de M. Drouyn de Lhuys tous les termes qui auraient pu effaroucher la susceptibilité du gouvernement des États-Unis, démontrent que notre gouvernement apprécie la difficulté et la délicatesse de sa démarche : dextérité superflue en cette circonstance ! Les plus adroites réticences du langage ne pouvaient rien enlever à la grave signification de l’acte. La proposition d’armistice de notre gouvernement, en dépit de toutes les précautions du style, ne pouvait être que contraire au gouvernement des États-Unis et favorable à la rébellion du sud. Il est aisé de prouver que la logique de la politique qui vient d’être inaugurée dans les affaires américaines aboutit inévitablement à cette conséquence.

On peut être autorisé à proposer à des belligérans un armistice de six mois en vue d’une négociation pour arriver à la paix, quand on y est invité par l’une des parties. Une suspension d’armes de six mois est une trêve bien longue. En admettant que l’on arrive au terme de cette trêve sans que la paix se conclue, un tel espace de temps aura dû profiter à une des parties belligérantes, à celle qui était le plus épuisée de préférence à l’autre, et par cela même aura été nuisible à l’une dans la même proportion où elle aura été avantageuse à l’autre. Aussi, au moment même où l’armistice lui est proposé, celui des belligérans qui croit avoir la supériorité actuelle a-t-il le droit de ne point se dessaisir de ses avantages positifs et d’exiger ou des garanties qui lui conserveront l’ascendant, ou la proposition sincère des bases d’une paix presque certaine. Le belligérant qui s’adresse à un médiateur, pour obtenir par ses bons offices une suspension d’armes de longue durée, est donc tenu de joindre à sa demande les élément de la paix qu’il est prêt à accepter. Pour la même raison, aucun gouvernement avisé ne se chargera jamais de demander pour le compte d’un belligérant à l’adversaire une trêve de six mois, s’il n’est pas nanti en même temps, par celui qui réclame ses bons offices, des élémens d’une pacification probable. Pour prendre à d’autres conditions le rôle de médiateur, il faudrait ou porter dans les grandes affaires beaucoup d’étourderie,