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est de plus une créature, raisonnable : il est capable de concevoir les objets rationnels du bien moral. C’est à raison de ces motifs que les affections humaines deviennent non-seulement bonnes, mais méritoires. La vertu est à cette condition, elle s’élève d’autant plus que les conceptions morales de la raison ont rencontré davantage la résistance des passions. La vertu sans sacrifice est de la vertu à bon marché.

Les principes de la vertu ne peuvent être mis en péril que par des causes qui supprimeraient ou altéreraient le sentiment du juste et de l’injuste, la notion du bien et du mal ; mais cette suppression est impossible : aucune opinion ne peut changer à ce point la nature humaine. Seulement certaines opinions peuvent la dépraver. L’athéisme peut favoriser les vices d’un être pervers ; cependant il n’est pas directement contraire au sentiment du juste et du bien, tandis que la superstition, en retirant la notion de justice de la notion de Dieu même, nous expose à l’erreur de lui rendre hommage par de mauvaises actions. Toutefois au premier rang des affections qui agissent sur le sentiment naturel du bien restent les affections religieuses. Il faut bien distinguer néanmoins entre les diverses affections qui nous portent à honorer Dieu. Si c’est la crainte de sa puissance, elle ne peut être le principe d’une vertu véritable, elle ne peut avoir aucun mérite devant Dieu. Elle n’engendre pas la sainteté ; mais la contemplation de la bonté de Dieu a de tout autres effets. Non-seulement cette bonté est pour nous un suprême modèle ; mais celui à qui la pensée en est incessamment présente, ne veut pas rougir devant l’invisible témoin. Là évidemment est le grand défaut de l’athéisme. Si cependant nos notions morales étaient attaquées par des passions violentes, la crainte de la puissance divine, comme la crainte de tout châtiment, pourrait, sans précisément produire aucune vertu, servir de contre-poids aux impulsions vicieuses. Les peines et les récompenses ne sont pas une chose indifférente, pas plus que ne l’est une administration juste et éclairée. Si la récompense future que la religion elle-même nous fait espérer est un vertueux bonheur, elle est l’objet d’un désir pur et désintéressé. Il faut pourtant se défendre d’outrer ce sentiment au point de trop dédaigner les biens d’ici-bas, et de consentir trop facilement au bonheur du vice sur la terre. Quant à l’athéisme, il n’enseigne pas à méconnaître le bonheur attaché à la vertu, mais il ne fait rien pour en provoquer, pour en fortifier la pensée dans notre âme. Sans aucun doute l’amour du bien perdrait un grand appui, si nous cessions de croire qu’il existe une bonté, une beauté dans l’univers. Sans aucun doute l’admiration de l’ordre et de l’harmonie est une passion. Sans aucun doute la croyance en un Dieu qui n’est pas seulement bon, mais qui est la bonté même, est favorable à la vertu. Quelque