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Un an avant la publication des Caractéristiques, il avait dû renoncer à ses idées d’ambition, si jamais il s’y était arrêté. D’abord l’amélioration de sa santé ne s’était soutenue qu’un moment ; il avait dû, pour en sauver les restes, prendre ménagemens sur ménagemens, et d’ailleurs, assez peu de temps après son mariage, Godolphin, dont il s’était rapproché et dont il cultivait la bienveillance, avait enfin aperçu l’affaiblissement du cabinet qu’il conduisait avec plus de sagesse que de vigilance. Le procès de Sacheverell, auquel Shaftesbury avait applaudi, était devenu un échec pour la politique ministérielle. Une multitude bruyante et l’église, bruyante aussi à sa manière, avaient pris fait et cause pour cet apôtre de l’absolutisme persécuté. La reine, décidée par les avis de Harley, brisa la baguette blanche dans les mains de Godolphin, et un ministère que nous qualifierions aujourd’hui de réactionnaire se forma (1710). Quoique Shaftesbury eût d’anciennes relations de famille avec Harley, qu’il fît cas de ses talens et connût le fond de ses sentimens, il ne pouvait voir sans inquiétude une administration où les Rochester et les Saint-John tenaient une si grande place, et qui écartait tous, les amis de Marlborough avant de l’atteindre lui-même. Sa santé d’ailleurs ne lui permettait plus du tout de songer à la vie active ; ses maux s’étaient aggravés, il respirait à peine. Au printemps de 1711, il se décida à essayer à la lettre d’aller reprendre haleine sous le ciel de l’Italie. Un pair du royaume ne pouvait, surtout au cœur d’une si forte guerre, s’éloigner sans un congé ; il en fit la demande à Harley, devenu premier ministre et comte d’Oxford, et avant de partir il lui écrivit pour le remercier[1]. Sa lettre est empreinte de ce sentiment de confiance obstinée que certains amis de la révolution de 1688 gardèrent jusqu’au bout au plus flexible et au plus léger des hommes d’état, et il lui témoigne l’espoir de le voir, mieux que personne, « achever le grand ouvrage commencé et poursuivi si glorieusement pour le rétablissement de la liberté et pour la délivrance de l’Europe et de l’humanité. » Mais en même temps il ne négligeait pas de faire, par lettre, ses adieux à lord Godolphin, et au moment de se mettre en route pour l’Italie, en traversant la France, il lui demandait, s’il était capable d’atteindre le but de sa course, ses commissions pour tous les pays qu’il devait visiter, ne doutant pas qu’en tout lieu il ne trouvât son mérite reconnu de tous[2].

Il arriva dans le midi de l’Italie au mois de juillet, et ne quitta plus ces contrées. Là son goût pour les arts se ranima ; on en voit la preuve dans son petit ouvrage choix d’Hercule, ou du Dessin

  1. Du 29 mars 1711.
  2. Du 27 mai 1711.