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un ministère qu’on pouvait regarder comme tory avait succédé : la sagesse de Godolphin y tempérait seule la violence de Rochester. La mort du jeune fils de la princesse Anne faisait un vide dans la succession protestante. On voit par les lettres de Shaftesbury a son ami Furley combien cette situation des affaires l’inquiétait, et combien surtout il appréhendait une dissolution qui pouvait donner aux tories une majorité décidée. Ses craintes furent justifiées. Le roi n’avait pas cru pouvoir se refuser à une mesure qu’il n’approuvait pas. « Nous sommes en pleine élection, écrit Shaftesbury le 11 janvier 1701 ; c’est une crise… Cependant on espère encore un bon parlement. Quant aux désordres et aux actes de corruption qui accompagnent nos élections dans beaucoup d’endroits, cela ne fera que hâter notre remède et amener notre nécessaire réforme plus promptement. » Ce prompt remède s’est fait attendre quelque cent trente ans. Il ajoute : « La seule chose à espérer et à demander, c’est que le parti tory n’ait pas le dessus ; car, ainsi qu’on l’a dit du feu ou de l’eau, on peut dire d’eux qu’ils sont bons serviteurs, mais mauvais maîtres. Et comme par principes, ils sont esclaves, ils ne servent que tenus dans l’esclavage ; leur assujettissement est l’unique gage de notre liberté ou de la liberté du monde, autant que nous y pouvons contribuer en Angleterre. Et que nos amis de Hollande sachent bien quels sont ici leurs amis, et se souviennent que c’est ce parti-là qui hait les Hollandais et aime la France, et que les whigs, le parti contraire, sont les seuls qui puissent maintenant les sauver eux et l’Angleterre[1]. »

Une des affaires les plus délicates pour Guillaume et pour les whigs était le traité de partage, que l’un avait conclu et les autres approuvé. Il était peu populaire et passait presque pour une concession dissimulée à la France. Cependant, violé ouvertement par Louis XIV, qui venait d’accepter pour le second de ses petits-fils la succession du roi d’Espagne, il pouvait entraîner le pays dans une guerre. Les ministres, exploitant la crainte alors assez générale de la guerre, l’opposaient à tous les desseins du roi, et pour affaiblir encore les raisons de l’entreprendre, ils livrèrent aux poursuites de la chambre, où les tories étaient revenus les plus forts, les signataires de ce traité, pour lequel on parlait de prendre les armes. Somers, compris dans l’accusation qui venait d’atteindre ses collègues, dépêcha un message à Shaftesbury dans sa retraite pour le presser de venir au parlement. Shaftesbury n’avait pas approuvé le traité : il aurait préféré à un partage quelconque la reconnaissance pleine et entière des droits de l’archiduc Charles, il ne trouvait pas

  1. Origin. Lett. of Locke, Sidney and Shaftesbury, ed. by T. Forster, in-12. Lond., 1830. Lettre du 11 janvier, p. 113.