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qu’il devait être ponctuel, ayant un engagement pour se rencontrer avec mylord Ashley. Il le quitta ainsi pour le revoir bientôt, à sa grande surprise. Cet incident égaya leur relation, sans la rendre moins intime, et une correspondance subsista entre eux jusqu’à la mort de Bayle (1706). On dit même qu’il fut assez heureux pour rendre à Bayle le service d’empêcher son bannissement du territoire hollandais. L’amour de la contradiction et le besoin de tout réfuter avaient entraîné l’éminent sceptique à prendre presque parti pour la monarchie française contre le républicanisme des huguenots, et il s’était fait accuser de trahison, jusque-là que Guillaume III, le soupçonnant d’avoir contribué sous main à la paix de Nimègue, l’avait fait destituer de sa place de professeur. Quoi qu’on pense du rôle assez obscur que Bayle a pu jouer à cette époque, sa position était devenue extrêmement précaire, et il avait besoin d’appui auprès des autorités hollandaises et du gouvernement anglais. On dit qu’il trouva cet appui dans lord Ashley.

Pendant que ce dernier était absent de Londres, il y parut une édition subreptice de son ouvrage intitulé Recherche touchant le mérite et la vertu (1699). C’est celui que Diderot a regardé comme le plus important, puisqu’il l’a traduit, et même avec un peu d’étalage. L’auteur y établissait en règle, mais avec plus de simplicité de langage qu’à son ordinaire, l’idée fondamentale de la seconde lettre à Locke dont nous avons parlé. C’est le travail qu’il ne trouvait pas digne de lui être montré, et quand on l’imprima pour la première fois, on mit au jour une esquisse tracée à vingt ans. Il est même dit que le texte était défiguré par d’assez graves altérations. Cette publication a été attribuée à Toland, qui aurait abusé de la confiance de l’auteur. Ashley avait eu des bontés pour lui, et probablement s’était épanché en sa présence dans toute la liberté de son esprit. L’ouvrage, tel qu’il était, fut cependant remarqué, et fit connaître l’auteur en le compromettant.

Quand il revint en Angleterre, il avait perdu son père et hérité de son titre. Cependant il s’abstint quelque temps d’aller à la chambre des lords, malgré toutes ses sympathies d’opinion pour les chefs du parti whig. Étranger à toute ambition active et peu familiarisé avec les nécessités des affaires, il était resté fidèle aux purs principes de l’ancienne opposition, et ne suivait pas toujours ses amis dans les concessions, souvent raisonnables, souvent excessives, qu’ils faisaient à la politique pratique. C’est à lui qu’on doit la citation de cette maxime qu’il donne comme un adage : l’honnêteté est la meilleure politique. Le gouvernement ne le trouvait donc pas toujours traitable. Cependant, quand la circonstance était pressante, on pouvait compter sur lui, et lord Somers ne réclamait pas en vain son concours. En 1700, cet homme d’état était forcé de sortir des affaires ;