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Cette dissolution du parlement réussit à la politique royale, et Ashley, qui sut en tout temps la comprendre sans toujours la suivre, se plaça dans les rangs de ceux qui, ayant risqué une révolution pour la liberté, s’appliquaient à consolider leur ouvrage par les développemens de cette liberté même. Quoiqu’il ne prît pas une part fort active aux débats de la chambre, il s’y fit quelquefois entendre. On raconte de lui une anecdote parlementaire qui a été répétée sous diverses formes et dont l’équivalent a pu se reproduire en effet avec quelques variantes en d’autres occasions. Au commencement de 1696, on discutait un bill portant régularisation de la procédure pour les cas de haute trahison. Le projet de loi accordait (chose étrange que ce fût une nouveauté et une nouveauté contestée !) un défenseur aux accusés. Ashley se leva pour appuyer la proposition. Il était faible, peut-être timide ; son esprit n’avait pas cette franchise d’allure qu’il faut dans les assemblées. Il se troubla, il hésita, et parut perdre le fil de son discours. La chambre témoignant avec bienveillance qu’elle attendait qu’il se remît, il reprit possession de lui-même, et dit : « Comment pourrais-je, monsieur l’orateur, produire un plus fort argument en faveur du bill que ce qui m’arrive à moi-même ? Ma fortune, ma réputation, ma vie ne sont pas en jeu. Je parle devant un auditoire dont la bonté devrait m’encourager. Et cependant, pour un simple ébranlement nerveux, seulement pour n’être pas assez habitué à la présence des grandes assemblées, j’ai perdu le souvenir de mes idées, je suis devenu incapable de poursuivre mon raisonnement. Quel doit donc être le trouble d’un pauvre homme qui, n’ayant jamais ouvert la bouche en public, est appelé à répondre, sans une préparation d’un moment, aux avocats les plus habiles et les plus expérimentés du royaume, et dont les facultés sont paralysées par la pensée que s’il ne réussit à persuader ses auditeurs, il devra dans peu d’heures expirer sur un gibet et laisser à tout ce qu’il a de plus cher la misère et l’infamie ? »

On peut soupçonner avec lord Macaulay un peu de préparation dans ce trouble employé si fort à propos comme un moyen oratoire, d’autant que ce n’est pas la seule fois qu’au parlement d’Angleterre un orateur intimidé a tiré de son émotion un argument et un effet. On raconte que lord Finch et le général Ross, en défendant à la chambre des communes, l’un Steele et l’autre Bolingbroke, firent, en des situations bien différentes, une allusion directe à l’embarras qu’ils éprouvaient, et prirent le désordre de leurs paroles à témoin de l’énergie de leur conviction ; mais de tous les exemples que l’on cite, il me semble que l’inspiration de Shaftesbury a été la plus heureuse, et la seule qui ait uni au mérite de l’à-propos la force d’un raisonnement. Cependant, lorsqu’après la paix de Ryswick un nouveau parlement fut appelé, Shaftesbury ne se remit pas sur les