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de son immense industrie. Qui ne sait quelle est en présence d’un tel désastre l’attitude admirable de cette population héroïque ? Pas une plainte, pas un désordre, pas une révolte ; deux millions de créatures humaines souffrent en silence un mal qu’elles ne peuvent empêcher ; elles refusent même tout secours de l’état, aimant mieux consommer leurs épargnes et vendre jusqu’à leur mobilier que tendre la main à leurs concitoyens, et l’Angleterre entière, touchée jusqu’aux larmes, respecte cette fière abnégation, prête à voler à leur aide avec toutes ses ressources quand il le faudra absolument.

Pour voir ainsi l’Angleterre en noir, M. Périn a un motif qu’il ne dissimule pas ; l’Angleterre est protestante, et l’économiste catholique ne peut admettre que le protestantisme puisse se concilier avec la grandeur morale. Rien n’est plus triste que cette malveillance qui divise encore les deux grandes églises chrétiennes et qui survit aux anciennes guerres de religion. Le mal n’est pas particulier à l’un des deux cultes, il est répandu parmi les protestans comme parmi les catholiques. Les Anglais, si raisonnables d’ordinaire, perdent tout à fait la tête quand il s’agit du pape et de l’église catholique ; à leur tour, certains catholiques le leur rendent bien. Ne serait-il pas temps d’oublier un peu ce qui nous divise pour voir davantage ce qui nous rapproche ? Le catholicisme et le protestantisme sont les deux branches d’un même tronc ; ils ne peuvent plus espérer de se détruire mutuellement ; ils y travaillent en vain depuis trop longtemps. Ce qu’ils ont désormais de mieux à faire, c’est de se supporter, de se rendre justice, et de rivaliser pour le bien. L’avenir dira si ce n’est pas là le meilleur moyen de travailler à un rapprochement que ces polémiques amères ne peuvent qu’éloigner.

Il n’y a pas d’ailleurs, il faut l’avouer, de terrain plus mal choisi par un catholique, pour y porter ces querelles, que le terrain économique, non que le catholicisme soit par lui-même moins favorable au progrès de la richesse, mais parce que les nations protestantes ont les devans jusqu’ici. Quel que soit l’essor qu’aient pris au XIIIe siècle, sous les auspices de l’église, la richesse et la population, on les a vues décroître rapidement dans les siècles suivans, et de l’époque de la réforme date le mouvement ascensionnel qui se continue sous nos yeux. L’Angleterre protestante est la plus riche des nations modernes ; Adam Smith, Ricardo, Malthus, étaient Anglais et protestans, et il n’y a pas de pays au monde où l’enseignement économique soit devenu plus général et plus populaire. Est-ce une raison pour désespérer de l’avenir des nations catholiques ? Non certes. Si l’église catholique a trop dédaigné jusqu’ici les enseignemens de l’économie politique, le livre de M. Périn prouve