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à la destruction des richesses, et il y a des cas où il faut savoir y renoncer pour obéir à un devoir supérieur ; mais ces cas sont rares et exceptionnels. Le véritable principe de la richesse des peuples chrétiens n’est pas là, il est dans cette autre loi que le christianisme a promulguée : Aimez votre prochain comme vous-même pour l’amour de Dieu. Par cette règle d’amour et de justice, aidée quand il le faut de l’esprit de renoncement, l’utile est transfiguré en quelque sorte ; il cesse d’être un calcul personnel et égoïste pour devenir le symbole de la charité et de la solidarité, le lien entre tous les hommes et tous les peuples, le ciment terrestre de l’humanité. C’est par là que l’économie politique est bien la fille du christianisme ; elle n’aurait pas pu naître dans le monde antique.

Je comprends qu’à propos de la nécessité du travail, un économiste chrétien rappelle la doctrine de la chute et du châtiment. Le travail est un effort, une peine, une fatigue, et par conséquent un sacrifice. Je ne voudrais cependant pas qu’on insistât trop complaisamment sur cette définition. Si le travail est un châtiment, il est aussi une réhabilitation, et la bonté divine a joint à son arrêt de miséricordieuses compensations. Non-seulement l’homme ne peut vivre que par le travail, car il est entouré de forces destructives qui combattent incessamment contre lui ; mais dans ce labeur qui lui est imposé, il trouve son charme et sa récompense. Si ce côté consolateur est laissé dans l’ombre, pour ne laisser voir que la sombre loi de la fatalité, l’idée du travail n’est pas complète. Quand M. Périn affirme que l’énergie du travail procède de l’esprit de renoncement, il va beaucoup trop loin. L’esprit de renoncement se montre à l’origine du travail pour le faire accepter sans murmure ; mais ce qui le rend vraiment énergique et productif, ce n’est pas la crainte, c’est l’espérance. Sans la promesse d’une rémunération immédiate, le travailleur ne serait sur la terre que le morne esclave d’un maître irrité, tandis qu’il reçoit ici-bas un premier prix de ses sueurs. Pourquoi nous montrer dans Dieu la main qui châtie sans nous montrer aussi celle qui bénit ?

Il ne faut pas, ajoute M. Périn, que l’homme songe jamais à s’affranchir de la loi du travail, car la mollesse amène bien vite la corruption, la décadence et la mort. Cette doctrine est parfaitement conforme aux principes de l’économie politique, mais elle ne dit pas tout. Il y a pour l’homme deux manières de s’affranchir, sinon du travail proprement dit, du moins de ce que le travail a de plus pénible : l’une consiste à exploiter le faible par le fort, c’est la théorie de l’esclavage et des autres injustices sociales que l’économie politique repousse non moins que la religion ; l’autre consiste à perfectionner de plus en plus les instrumens de travail, afin de rejeter sur les