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était dans le tempérament de François Ier de se faire la part du lion pour montrer ensuite sa générosité. Après s’être emparé de la seigneurie des mines, il en investit le vicomte Louis de La Chambre par lettres patentes du 18 décembre 1542. dès lors le traité qui les avait partagées resta oublié pendant deux siècles. Une héritière du vicomte vendit la baronie des Hurtières, par acte du 2 septembre 1623, au prince Thomas de Carignan, le chef de la branche cadette qui règne aujourd’hui sur l’Italie. Ce prince énergique, digne ancêtre de Victor-Emmanuel, entreprit d’enlever par les armes la régence des enfans de Savoie à sa belle-sœur, Christine de France, qu’il accusait de sacrifier l’indépendance de l’état à l’influence française. Pendant la guerre civile, ses biens furent confisqués, et les mines rentrèrent au domaine de la branche aînée. Après sa réconciliation avec la régente, il fut réintégré dans la possession de tous ses biens. Son fils, Emmanuel-Philibert de Carignan, vendit en 1687 le droit d’exploitation sur la moitié des mines à la famille génoise des Castagneri. Cette famille, dont la fortune s’est écroulée récemment, est « l’auteur, » comme disent les hommes de loi, de l’exploitant actuel le plus considérable.

Mais toutes ces compétitions illustres avaient passé par-dessus la tête des paysans. Attachés à la montagne comme à leur proie, ils avaient continué jusque vers le milieu du dernier siècle de creuser des fosses selon leur instinct, en tenant marché du minerai qu’ils retiraient. Les propriétaires des hauts-fourneaux dépendaient d’eux pour leur approvisionnement de minerai. La nécessité d’assurer la consommation des fonderies donna naissance à un genre de concession que nous croyons n’avoir été connu qu’en Savoie. La concession portait non sur la mine, mais sur le minerai, qui ne pouvait être vendu qu’au concessionnaire investi du privilège de l’acheter. Les propriétaires des hauts-fourneaux trouvèrent ensuite plus simple d’acquérir des paysans les filons mêmes. Il y en avait toujours à vendre, car la population de Saint-George, négligeant la culture des champs pour celle des mines, était loin de s’enrichir. La vente des filons a peu à peu éliminé les anciens protégés de la maison de Savoie et introduit dans la propriété des mines les exploitans étrangers munis d’un outillage complet.

L’éviction des paysans ne fit pas cesser l’anarchie primitive, qui augmenta au contraire par l’arrivée des nouveaux industriels, la plupart dans une bonne situation de fortune, bien posés dans la société savoyarde, intelligens et capables de soutenir leurs prétentions devant les tribunaux. La lutte souterraine se compliqua de la lutte au soleil, et parallèlement à la galerie » en bataille » se développa la longue série des procès, sans cesse renaissans, qui ont