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De l’entrée des premières galeries, à 1,100 mètres au-dessus du niveau de l’Arc, le regard embrasse un splendide panorama. En face du spectateur se dresse la montagne d’Argentine, où descend un glacier qui pousse devant lui sa moraine terminale, et renouvelle en petit les phénomènes de l’époque glaciaire. Plus bas, le mont Chabert, où une égratignure blanche indique l’entrée d’une ancienne mine de plomb sulfuré argentifère rouverte aujourd’hui et en pleine exploitation. À gauche, le pic arrondi de Charbonnières, droit au milieu de la vallée comme l’unique colonne restée debout d’un immense édifice démoli. À droite, les aiguilles d’Arves, qui déchirent violemment le ciel bleu, et dans la même direction l’encaissement profond du torrent du Glandon. Au fond, le bassin de la vallée, longue et irrégulière crevasse des Alpes par laquelle ont coulé depuis les temps historiques les inondations des peuples du midi sur le nord et celles du nord sur le midi, aujourd’hui parcourue par la locomotive, dont le bruit sourd et le sifflement montent sur les versans, arrivent jusqu’à nous. C’est d’ici que nous pouvons suivre à l’aise cette dégradation végétale observée précédemment, le pâturage succédant au glacier, la forêt découpée de champs cultivés, les chalets gris abattus sur les prés verts comme une volée d’hirondelles fatiguées, le vignoble égaré dans l’anfractuosité du rocher, et enfin les villages du bas avec leur cortège obligé de grands arbres agités par le vent périodique à double courant, soufflant le jour en sens inverse de la nuit, fort connu dans les longues vallées des Alpes.

À l’aspect des rochers gris de fer, pailletés de mica, composés d’élémens cristallins, et dont les sommets dentelés jaillissent de leur base en pics aigus comme des jets de flamme, nous reconnaissons bien vite que nous sommes au centre d’un soulèvement de protogine. La montagne que nous avons gravie présente partout les traces de la secousse violente qu’elle a éprouvée au moment où elle s’est imprégnée de la couche fertile : l’ordre de la stratification naturelle est détruit extérieurement, la surface est hérissée de pièces brisées, de blocs amoncelés et soutenus sur les pentes par un miracle d’équilibre ; mais, dès qu’on pénètre sous l’enveloppe déchirée, on découvre plus de régularité, des couches moins tourmentées, des filons continus de quartz qui conduisent presque toujours à la masse métallique. Ces filons ont eu sur le mode d’exploitation suivi aux Hurtières une influence considérable. L’instinct des paysans de Saint-George, exploitans primitifs de la mine, leur avait révélé le fait scientifique que nous avons tâché de mettre en lumière, à savoir que la direction de la roche éjective conduit au gisement métallique. Ils suivaient donc le quartz, qui est une roche d’éjection, partout où ils le trouvaient à la surface, et ils se laissaient conduire par sa présence.