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le couvent marié à l’usine, la prière réglementaire montant vers le ciel avec la fumée du haut fourneau ! Le principe moderne de la division du travail recevait là une application rigoureuse, il était observé à la lettre religieusement. Chaque moine accomplissait sa tâche sans en sortir jamais : l’un présidait aux diverses manipulations du minerai, à l’extraction, au grillage, au transport, qui se faisait ordinairement à dos de mulet ; l’autre, à la préparation du combustible, à l’abatage de la forêt et au charbonnage ; celui-ci avait le gouvernement du fourneau, et celui-là l’écoulement de la fonte. On n’était pas pressé de produire ; ce n’était pas l’activité fiévreuse de l’industrie actuelle. Les congrégations religieuses travaillaient avec cette majestueuse lenteur de quelqu’un qui a l’avenir devant soi, qui pense aux jours éternels, selon l’expression de saint Bernard de Menthon, et qui n’est pas stimulé par la concurrence. Leurs fourneaux n’étaient allumés qu’une partie de l’année, trois mois au plus, et produisaient annuellement, suivant une statistique datée du premier empire, 10,000 quintaux métriques de fonte, — environ 1,500 kilogrammes par jour et par fourneau. La production est aujourd’hui de 4,500 aux fourneaux d’Argentine, d’Epierre et de Randens, qui marchent dix mois de l’année. Ces organisations, moitié industrielles, moitié monastiques, ont été emportées par la révolution française. On aperçoit encore les pans de murs de leurs chartreuses noircis par la fumée de l’usine et les scories du fourneau démoli. Devant ces débris épars d’une industrie d’où la pensée de Dieu n’était pas absente, et qui n’entraînait pas dans ses rouages l’homme tout entier, âme et corps, l’esprit éprouve une sorte de plaisir triste à la reconstruire de toute pièce et à remettre en train ce mécanisme au mouvement paisible et lent pour l’opposer à la dévorante activité de l’industrie de nos jours.

La renommée des richesses minérales de la Savoie attira de nombreux industriels étrangers des le XVe siècle. Une compagnie d’Allemands formée par Jean Müller de Nuremberg devient concessionnaire de la mine de Macôt en 1470. Plus tard, des Suisses exploitent les salines de Moutiers et les anthracites de la Tornière. Des Français, parmi lesquels figurent un de La Trémouille et un de Croy, entreprennent l’exploitation du fer hydraté et du plomb sulfuré argentifère de Servoz, dans la région du Mont-Blanc. Ils y sont suivis par une société dans laquelle figure le naturaliste Albanis de Beaumont et par des Anglais. Une société lyonnaise s’installe sur l’ancienne mine des Sarrasins, dans le district de Modane, et y fait de beaux bénéfices jusqu’à la révolution, qui ruina l’entreprise. Une des plus curieuses sociétés dont on ait gardé le souvenir est celle qui fut constituée vers 1750 sous la raison sociale de la célèbre Mme de